- Auteur : Joyce Carol Oates
- Ma note :
- Lu : mai 2013
À Mont-Ephraim, petite ville de l’État de New York, tout le monde connaît les Mulvaney, leur bonheur et leur réussite. Michael, le père, d’origine modeste, a su à force de travail se faire accepter par la bonne société de la veille. Grâce à sa femme qu’il adore, la ferme qu’ils habitent est un coin de paradis, une maison de contes de fées où, au milieu d’une nature splendide, entourés de chiens, de chats, d’oiseaux, de chevaux – et immensément d’amour -, leurs trois fils et leur fille Marianne vivent une enfance inoubliable. Jusqu’au drame de la Saint-Valentin 1976, qui vient mettre un terme à cette existence idyllique, fait voler la famille en éclats et marque à jamais chacun de ses membres…
Mon avis
Voici le 6e livre que je lis de Joyce Carol Oates. Le premier m’avait enchantée, celui-ci m’émerveille. Je le trouve encore au-dessus des Chutes, c’est dire. Dans ce dernier, elle nous relatait le destin d’une femme, avec ses bonheurs, ses malheurs, une vie de femme totalement inintéressante en elle-même, mais l’écriture et la sensibilité de l’auteur avait rendu la chose absolument fascinante et captivante. Avec Nous étions les Mulvaney, c’est le même principe adapté à une famille entière. Mais en mieux.
Le récit est raconté par le petit dernier de la famille, Judd, trentenaire, journaliste de presse écrite. Il nous rapporte ce que qu’était la vie au sein de la famille Mulvaney avant et après sa naissance, compile ses propres souvenirs, les souvenirs de ses parents et frères et sœur, et nous propose un récit assez inattendu dans sa forme. Le style en est déroutant, les flashbacks se succèdent, sans ordre précis, un événement nous est annoncé avant d’être interrompu par une séries d’anecdotes, de digressions, et de flashbacks. La structure donne l’impression d’un gros fouillis, et n’est pas sans rapport avec le patchwork dont il est plus tard question dans l’histoire, car si les membres de la famille ont des « vies en patchwork », le récit lui-même est un assemblement de petits bouts de vies, recollés en vrac. Et pourtant, ce qui aurait du me rebuter, sous la plume de Joyce Carol Oates, devient un véritable enchantement d’une clarté confondante. Elle donne vie à une famille entière, et détaille les caractères de chacun, leur histoire, leur comportement. Les Mulvaneys sont attachants dès le début. Ils sont jeunes, beaux à leur manière, la mère un peu trop portée sur Jésus, mais trop choupinette dans sa naïveté de croyante pleine d’optimisme et de bonnes intentions, les enfants avec leurs caractères bien distincts, et avec leurs ressemblances, parfois, et le père, le self-made man par excellence, emblème de la réussite à l’américaine, joyeux père de famille travailleur et aimant. Tout ce petit monde vit en harmonie dans une jolie maison peuplée de chats, de chiens, de canaris. Ils sont des membres de la famille à part entière, et suivent les Mulvaney dans leur déboires jusqu’à la fin. Vous l’aurez compris, les Mulvaney représentent la famille idéale, les Ingalls des années 70, mais la mièvrerie en moins.
Un jour, le drame survient, innommable. Point de scène spectaculaire, ni de cris et de violence. Ici, la violence est intensément psychologique, à tel point qu’il faut plusieurs chapitres pour arriver au moment fatal (à 29% du livre, pour être précis). Malgré le drame, l’amour est là. Marianne, enfant adorée et unique fille de la famille, est une victime, ses parents en sont conscients, ne l’accusent de rien, et l’aiment toujours. Et pourtant, malgré cet amour inconditionnel, tout bascule. Jusqu’à la fin du livre on reste pantois devant l’enchaînement des conséquences. Pourquoi ? Comment expliquer la réaction de la mère, celle du père ? Chacun encaisse le coup à sa manière, et advienne que pourra ! Finalement, on réussit plus ou moins à mettre le doigt sur le problème. C’est le destin ! Comme le dit Corinne Mulvaney, « c’est arrivé, c’est tout ». La capacité des uns et des autres à s’adapter, à réagir en conséquence, à communiquer, à s’extérioriser conditionne le destin de la famille, qui donne l’impression de s’enliser dans le malheur. Le manque de communication, l’impossibilité de faire face à certains événements, autant de facteurs qui emportent les Mulvaney vers un délitement inexorable.
Le destin des Mulvaney est une histoire très commune, elle n’a rien d’extraordinaire, mais pointe du doigt ce qui pend au nez de tout le monde et de n’importe qui si l’on n’y prend pas garde. Le recul nous permet de dire « Si j’avais su, j’aurais… ». Mais le recul, par définition, on ne l’a jamais au bon moment, et ce qui nous apparaît comme un acquis, comme un dû, peut se transformer en tragédie humaine, faire que des chemins bifurquent, que les relations avec nos proches se désagrègent sans raison apparente, juste parce que c’est comme ça, et qu’on n’a pas le recul nécessaire ou la lucidité de comprendre pourquoi et d’y remédier.
L’écriture de Joyce Carol Oates est incroyable, fine, subtile, profonde et pudique. Inutile de préciser que l’émotion est assez forte dans la seconde partie du livre, une fois que le lecteur s’est bien attaché aux personnages, l’empathie est à son comble. Elle manie l’art d’exploiter les non-dits avec une rare élégance. Les personnages, les caractères, les décors, tout est minutieusement détaillé, mais ce qui ressort de cette flamboyance ce sont justement les non-dits, trop lourds à porter pour les Mulvaney. Au moment de refermer le livre éteindre ma Kobo, j’ai subitement pensé à la série Six Feet Under, que je place au panthéon des séries, et qui n’a jamais été détrônée à ce jour. On y retrouve la même profondeur et la même sincérité au niveau des personnages, dépeints avec réalisme et sans parti pris. Un livre qui a fait chavirer mon petit cœur tout mou.
6 remarques pertinentes pour “Nous étions les Mulvaney”
Aaah t’as fini de me convaincre avec ta référence à six feet under….
Ben si le final t’a fait le même effet qu’à moi, rien que pour ça déjà, ça vaut le détour 😀
Pour moi aussi, c’est le meilleur de JCO. Et Six feet under, ah … excellentissime !
n’est-ce pas ?! 😀
Je garde un souvenir très fort de ce roman. Les réactions des personnages et la chaîne des événements qui se précipite sans que personne n’y puisse quoi que ce soit… terrible.
Ce roman est particulièrement puissant, sans en avoir l’air, le côté inexorable des choses fait froid dans le dos.
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