- Auteur : Octave Mirbeau
- Lu : avril 2008
- Ma note :
Aveuglé par l’image de puissance et de prestige des jésuites, un quincaillier, veuf et ambitieux, décide d’envoyer son fils d’onze dans un collège à Vannes. Sébastien Roch, enfant doux et rêveur, va dès lors se retrouver confronté à la différence des classes et aux railleries de ses condisciples, de naissance plus « pure » et de rang plus élevé. L’autorité des pères jésuites, leur hypocrisie et leur sévérité, tout autant que leur vision déformée et malsaine de la parole de Dieu, auront raison de l’innocence de jeune garçon. Abusé moralement et physiquement, il sortira détruit du collège, habité par des questionnements sans réponses, sur le monde, lui-même, la religion, l’humanité.
Mon avis
Environ un siècle avant que le thème soit publiquement abordé, Octave Mirbeau traite de la pédophilie avec une grande sobriété. On a du mal à croire qu’un sujet pareil ait pu être traité en 1890. Et pourtant ! Le jeune Sébastien Roch, enfant innocent et espiègle, rêveur et un peu artiste, sera la victime à la fois d’une certaine perversité morale, religieuse, humaine et physique. Endoctriné par les jésuites, sa vision de Dieu, du Bien et du Mal en sera bouleversée. Séduit, envoûté, puis violé par un père jésuite, incarnant l’image du père à la fois biologique, spirituel, et du modèle en tant qu’homme, Sébastien verra tous ses faibles repères de l’enfance s’évanouir, détruits par l’hypocrisie et le vice d’un ordre à la mentalité étriquée, à la foi déformée et corrompue.
De grands moments parsèment le récit. Le départ de Sébastien nous révèle un père aimant qui ne sait comment manifester un amour dont il n’est même pas conscient. On devine chez cet homme un amour et une tendresse pour son fils dans le lequel il fonde tous les espoirs d’un homme du peuple qui rêve de prestige et de reconnaissance. Une fois le train parti, avec Sébastien à son bord, le père rentre chez lui insouciant, en laissant derrière lui ce brusque élan de tendresse. On trouve ce personnage tour à tour sympathique, pathétique, détestable, arriviste, naïf, bête, insensible, aimant…(Sans doute le plus complexe du roman, par opposition à la simplicité naturelle et enfantine de Sébastien, même si par la suite celui-ci devient tourmenté dans ses sentiments et amorphe dans ses actes.) L’arrivée de Sébastien à Vannes, lugubre et austère, est annonciatrice de malheurs et de bouleversements.
Si le thème général du viol de l’âme d’un enfant est malheureusement éternel, Mirbeau m’a étonnée en exprimant sa vision du cancre. Je le trouve en avance sur ton temps lorsqu’il dit qu’un cancre est un enfant très intelligent, curieux et passionné, faussement paresseux, incapable de s’adapter aux devoirs absurdes qu’on lui impose. Il éprouve le besoin de comprendre le pourquoi du comment avant d’agir, d’appliquer, de faire. Cette attitude le faisant passer pour paresseux et/ou bête. Mes connaissances dans l’histoire de la psychologie sont limitées, mais moi je le trouve en avance…
La première partie du livre s’achève sur l’exclusion de Sébastien. Renvoyé chez lui, une nouvelle période de sa vie commence. On ne dit jamais le mot, mais on comprend que Sébastien plonge dans une dépression sans fin, une instabilité de sentiments et d’humeurs qui ne sont que la conséquence des doutes et des questionnements qui le tiraillent depuis son séjour chez les jésuites. Après avoir exploré la dangerosité et l’hypocrisie d’un ordre religieux, Mirbeau termine le récit en évoquant l’absurdité de la guerre et du patriotisme aveugle.
Le style m’a un peu déçue, les phrases sont très souvent surchargées de virgules qui cassent le rythme, l’ambiance, et cela m’a gênée dans ma lecture à plusieurs reprises, privant le style d’une certaine fluidité.
Un roman fort, troublant par son actualité et ses thèmes, ainsi que par sa prise de position que je trouve audacieuse pour son époque.
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