- Auteur : Joyce Carol Oates
- Ma note :
- Lu : mars 2016
« Je ne vous envie pas et je ne désire pas être comme vous, je ne veux qu’échapper au destin d’être Maureen Wendall toute ma vie » : coincée entre une mère volage, un père alcoolique et un grand frère adoré, Maureen Wendall désespère. Ils vivent ensemble dans les bas-fonds de Detroit et subissent la violence quotidienne d’une société qui sépare les Blancs des Noirs, les miséreux des nantis. Pourtant ils s’aiment, luttent et gagnent parfois.
Mon avis
Joyce Carol Oates fait ici ce qu’elle sait faire de mieux en plongeant à nouveau dans les méandres de la société américaine. Au travers de la correspondance d’une ancienne étudiante fictive, l’auteur retrace son parcours chaotique, ses origines modestes, son enfance dans la misère de Detroit, pour illustrer une réalité pesante.
Née d’une mère un peu sentimentalement dispersée et d’un père franchement alcoolique et incompétent, Maureen voue une grande admiration à son frère aîné, prisonnier comme elle d’une filiation difficile. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la quatrième de couverture, le récit ne tourne pas autour de Maureen, loin de là. Nous suivons tout d’abord le parcours de Loretta, adolescente très tôt mariée et mère de famille, ainsi que la naissance et l’enfance de ses deux premiers enfants, Jules et Maureen. Un parcours compliqué, presque tracé, où la fatalité et la misère creusent un sillon de plus en plus profond dans lequel s’engouffrent les enfants de Loretta. L’auteur prend le temps de développer tous ses personnages, avec sa méticulosité habituelle et son sens du réalisme qui est ici porté à son paroxysme. Les protagonistes sont tous délicieusement antipathiques. Oates parvient à nous intéresser à des personnages pour lesquels il est difficile d’avoir de la sympathie. Ils sont assez primaires, tourmentés, ils vivent des choses terribles, sont ignares, pas spécialement intelligents, ni particulièrement beaux, ou alors à la manière éphémère de la jeunesse, sont racistes, alcooliques, bornés, et malgré tout on reste fasciné par leur destin et l’envie qu’ont certains de s’en sortir, avec leurs maigres moyens. Le récit s’étend de 1937 à la fin des années 60, de quoi planter le décor historique, entre la crise et les émeutes raciales et d’assister à l’évolution de la société tandis que la famille Wendall reste plus ou moins enlisée dans sa misère à la fois sociale et affective. Les relations au sein de la famille sont également compliquées. La communication est difficile, on reste englué dans sa misère, trop envahissante pour donner beaucoup d’importance au reste. Si l’amour est présent, il y est exprimé d’une drôle de manière, sans fioriture ni exagération, et très maladroitement. Les enfants Wendall n’aspirent qu’à vivre une autre vie que celle de leurs parents, mais leurs antécédents sont un sacré frein à leur ambitions, même modestes.
Lire Oates, c’est s’engouffrer dans la réalité des sentiments, des émotions, des comportements humains. Ceux-ci ne sont pas toujours logiques ou limpides dans la réalité, l’humain étant complexe et contradictoire. Elle ne cherche pas à créer des personnages sympas ou attendrissants, son souci du réalisme lui permet de créer des situations parfois étranges qui illustrent la variété infinie de personnalités, de caractères, de comportements dans la vie réelle. Un excellent roman, le troisième de la tétralogie Aux pays des merveilles.
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