- Auteur : Paul Howarth
- Ma note :
- Lu : novembre 2018
Australie, Queensland, 1885. Une vague de sécheresse conduit la famille McBride au bord de la ruine. Leur terre est stérile, leur bétail affamé. Lorsque la pluie revient enfin, la famille pense être tirée d’affaire. Mais le destin en a décidé autrement. Un soir en rentrant chez eux, Billy et Tommy, les jeunes fils McBride, découvrent leur famille massacrée. Billy soupçonne immédiatement leur ancien vacher aborigène. Les deux garçons se tournent vers John Sullivan, leur riche et cruel voisin, pour qu’il les aide à retrouver le coupable. Malgré les réticences du jeune Tommy, Sullivan fait appel à la Police aborigène, menée par l’inquiétant inspecteur Edmund Noone. Les frères McBride vont alors être entraînés dans une chasse à l’homme sanguinaire à travers l’outback désertique. Témoin impuissant des ravages que laisse la petite troupe dans son sillage, Tommy ouvrira les yeux sur le vrai visage de la colonisation australienne.
mon avis
Pour une fois je n’ai pas opté pour la nouveauté SF parmi les services de presse de Denoël. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai choisi un titre de la collection Sueurs froides. Le diable dans la peau, premier roman de Paul Howarth, traduit par Héloïse Esquié, est une baffe dans la tronche.
Je n’ai pas lu grand-chose concernant l’Australie et encore moins qui m’ait laissé un souvenir impérissable, hormis Les oiseaux se cachent pour mourir, il y a très très longtemps. Un moment d’égarement.
La période traitée dans le roman plonge le lecteur dans les heures sombres de la colonisation. La famille McBride est au bout du rouleau. La sécheresse n’en finit pas, le bétail succombe et l’avenir est de plus en plus incertain. L’ambiance caniculaire est oppressante, on perçoit un environnement hostile, peu fait pour le colon blanc qui s’obstine malgré tout. Ajoutons à cela la menace (plus ou moins exagérée) de l’Aborigène sauvage et sanguinaire, vous avez une idée de l’état d’esprit général.
Tommy et Billy, les deux garçons de la famille, ne comprennent pas pourquoi leur père semble détester le plus puissant et le plus riche propriétaire du coin, même si ce dernier n’est pas connu pour son altruisme envers les Aborigènes. Plus que respecté, il est craint. Lorsqu’ils découvrent leur famille salement massacrée, désespérés et sans soutien, ils se tournent malgré tout vers lui pour obtenir de l’aide.
Dès lors, les deux frères pourtant proches, vont vivre très différemment leur expérience commune. Emportés par l’élan de vengeance et de haine et des adultes, Tommy et Billy auront chacun un regard différent sur les événements. L’enquête autour du meurtre des parents McBride vire aussitôt en chasse à l’homme à travers le bush. Les personnages dépeints sont haïssables, repoussants et n’inspirent que le dégoût. Celui de Noone, particulièrement, offre un versant humain assez déroutant, bien qu’à peine perceptible. Sa compréhension du jeune Tommy démontre une intelligence certaine, malheureusement mise au service de la haine la plus primaire et la plus viscérale. La violence de ses actes est tout aussi extrême que la violence de ses paroles.
Le racisme illustré ici l’est de manière aussi brutale que possible. Le périple par-delà les vastes étendues désertiques est déjà éprouvant en lui-même, et les massacres qui le ponctuent sont la cerise empoisonnée sur un gâteau avarié. L’horreur des actes commis n’a d’égal que la sobriété dont l’auteur fait preuve dans leur description. Il raconte les pires scènes très froidement. Le style général est très littéraire à mon sens, recherché mais jamais lourd ou rébarbatif. L’écriture est superbe, et l’auteur n’en rajoute pas lorsqu’il impose au lecteur les scènes de massacres auxquelles assistent les deux jeunes protagonistes. Les actes se suffisent à eux-mêmes. La scène assez moche impliquant un kangourou femelle et son petit chagrineront les âmes sensibles, ainsi que le personnage de Tommy, resté lui-même hébété. Sachez que si vous avez du mal avec ce passage, qui n’est qu’une guillerette mise en bouche, vous ferez des cauchemars avec les autres.
J’ai rarement lu un récit aussi violent dans son propos et son traitement. Le racisme, en 1885 dans le bush australien, c’est quasiment la norme, il faudrait être fou, aveugle ou inconscient pour penser qu’un Noir est un être humain. Et l’être encore plus pour le traiter en tant que tel, ou même tout simplement le laisser vivre. L’évocation de la théorie de l’évolution de Darwin dans la bouche de Noone est d’un cynisme absolu. Ses actes prennent alors des allures de fatalité, la science lui donnerait ainsi raison.
La chasse à l’homme qui occupe une grande partie de l’intrigue n’est pas le seul intérêt du récit. La relation entre Tommy et son frère constitue un fil rouge tout aussi prenant. Face à la perte tragique de leur famille, les deux frères, bien que soudés, réagissent très différemment. Entraînés plus ou moins malgré eux dans cette chasse à l’homme, l’un comme l’autre vont devoir décider de leurs propres actes. Tommy, le plus jeune, fait preuve de méfiance face à une situation qu’il sent leur échapper, tandis que Billy, aveuglé, ne voit pas d’autre moyen de faire justice. Cet antagonisme va progressivement éloigner les deux frères. Au fil des épreuves qui les attendent, leurs personnalités vont se révéler et s’affirmer, ils vont quitter l’enfance pour l’âge adulte, mais d’une manière violente, brutale, et injuste. Là encore, Tommy et Billy vont gérer à leur manière leur traumatisme.
Le lecteur est à la place de Tommy, jeune garçon encore naïf, fondamentalement bon, mais pourvu d’un esprit critique inné, d’une capacité de réflexion précoce et d’un sens moral peu commun parmi les colons. On reste aussi choqué que lui face aux événements, aussi incrédule face à la politique de « dispersion » des Aborigènes, qui consiste à les massacrer au moindre prétexte légal, lors d’expéditions menées par des agents de la Police indigène, Blancs, et parfois Noirs. Cette dernière aberration trouve une explication dans le roman, glaçante.
L’auteur a construit une intrigue assez classique, dont le principal ressort est assez évident, et le suspens à ce niveau-là fait peut-être un peu défaut. Pour ma part j’ai été happée par le style et la construction efficace du récit, l’évolution des personnages et leurs motivations diverses. La dernière partie, qui aurait pu être une révélation, surprend par son déroulement. Bref, vous l’aurez compris, ce roman est un coup de cœur, grâce à ce qu’il dénonce, ses personnages, son intrigue maîtrisée, et la plume magistrale de Paul Howarth.
2 remarques pertinentes pour “Le diable dans la peau”
Merci pour cette chronique d’un livre et d’un auteur que je ne connaissais pas du tout ^^
Moi non plus ! Et franchement pour un premier roman la barre est haute.
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