- Auteur : Jo Walton
- Ma note :
- Lu : Janvier 2017
Née en 1926, Patricia Cowan finit ses jours dans une maison de retraite. Très âgée, très confuse, elle se souvient de ses deux vies. Dans l’une de ces existences, elle a épousé Mark, avec qui elle avait partagé une liaison épistolaire et platonique, un homme qui n’a pas tardé à montrer son véritable visage. Dans son autre vie, elle a enchaîné les succès professionnels, a rencontré Béatrice et a vécu heureuse avec cette dernière pendant plusieurs décennies. Dans chacune de ces vies, elle a eu des enfants. Elle les aime tous… Mais lesquels sont ses vrais enfants : ceux de l’âge nucléaire ou ceux de l’âge du progrès ? Car Patricia ne se souvient pas seulement de ses vies distinctes, elle se souvient de deux mondes où l’Histoire a bifurqué en même temps que son histoire personnelle.
Mon avis
Je connais Jo Walton de réputation depuis un moment déjà, et elle est présente dans ma PAL depuis aussi longtemps. Je la découvre enfin, avec ce qui est déjà considéré comme son chef-d’œuvre, rien de moins. Les lecteurs peu habitués ou enclins à la SF pourront mettre un pied dans le genre tout en restant à l’aise, car ici le côté SF se traduit par une double uchronie, celle de Patricia Cowan, et celle du monde.
Le récit nous fait voyager sur plusieurs décennies, nous rencontrons Patricia lorsqu’elle a six ans, et nous la suivons jusqu’à ses quatre-vingt-dix ans. De quoi assister à tout un pan de l’Histoire, pourtant Jo Walton se focalise sur la vie de son héroïne, sans pour autant délaisser un arrière-plan bien présent. Patricia grandit, se marie (ou pas), vit heureuse en amour (ou pas), réussit professionnellement (ou pas), et fonde une famille. Son uchronie personnelle, racontée par une alternance de chapitres dédiés à l’une et à l’autre de ses vies, a démarré à un point précis de sa vie, et de ce moment crucial, de ses deux choix possibles, de sa réponse à la question posée, découlent deux possibilités, deux réalités, deux vies radicalement opposées, mais l’Histoire aussi bascule, et prend deux directions tout aussi opposées.
Mal mariée à Mark (oh ! la belle allitération !), femme au foyer transformée en poule pondeuse par un mari peu attentionné, et trop religieux (pléonasme), ou lesbienne épanouie dans un couple durable, dans les deux cas, Patricia est mère, et lorsqu’elle se souvient de ses deux vies, la question de leur réalité se pose. Sa conscience aiguë d’avoir eu deux existences, dans deux mondes différents, passe aux yeux de son entourage pour de la confusion, de la sénilité. Mais qu’en est-il vraiment ? Ses souvenirs sont précis, détaillés, le lecteur plonge dans deux histoires peuplées de personnages plus fouillés les uns que les autres, et s’attache tout autant à Trish qu’à Pat. La personnalité de Patricia transparaît dans un cas comme dans l’autre, pourtant, les événements personnels, ses choix, le cours de l’Histoire sont différents et ne lui permettent pas de s’exprimer de la même manière. Éternelle ingénue dans une vie, c’est une lesbienne décomplexée et amoureuse dans l’autre.
L’importance d’un choix et toutes les conséquences qui en découlent constituent le cœur de ce roman qui aborde par ailleurs une foule de thèmes et de problématiques très actuels. La vieillesse, l’amour, la place de la femme dans la société, dans son foyer, ou dans son couple, son émancipation, l’amour et la sexualité, l’homoparentalité, le progrès scientifique ou social, la guerre nucléaire et ses conséquences, le handicap, la maladie, la mort. Le roman englobe autant de thématiques plus ou moins développées selon le besoin, mais habilement associées dans une intrigue forte, où l’humain passe avant tout. Le progrès d’un côté, le maintien de la paix, le respect de tous, ou l’ère nucléaire de l’autre, avec ses attaques épisodiques, ses morts, ses maladies, la persistance de l’intolérance envers les minorités, deux mondes où Patricia a vécu, avec ses joies et ses chagrins multiples, son amour ou sa solitude, mais toujours, avec ses enfants.
En y réfléchissant, il ne s’agit que d’un destin de femme finalement, raconté du début à la fin. Mais en deux versions. Cela m’a fait beaucoup penser au roman de Joyce Carol Oates, Les Chutes, dans un autre style, non SF mais tout aussi riche et maîtrisé. Ici, les personnages sont également au centre de tout, et la plume géniale de Jo Walton et son traitement de l’uchronie magnifient une double histoire déjà superbe et mémorable.
Walton, par le biais du choix originel, mène Patricia à un autre choix, et laisse le lecteur se dépatouiller avec ce qu’il vient de lire. Et c’est extraordinaire.
Paru aux éditions Denoël en janvier 2017, traduction de Florence Dolisi.
8 remarques pertinentes pour “Mes vrais enfants”
Ouh, ce livre me tente encore plus après avoir lu ton avis !
La traductrice est contente 🙂
Aaaah ben j’espère bien ! De mon côté j’ai ses autres romans encore à lire, joie !
Elle peut ! 😉 on s’attarde rarement sur les traductions sauf quand on trouve des bourdes et des inepties, on en parle moins quand elles sont réussies hélas ! et en l’occurrence elle est au poil, fluide et je pense fidèle à l’auteur ! Merci pour votre visite ! 🙂
J’ai super adoré!
Je boucle ma chronique (parce que oui j’avais du mal à en parler héhé :-))
Et donc, déjà que j’avais envie de découvrir Les chutes depuis mille ans… si tu le rapproche de ce livre… ça ne va pas m’aider (enfin si… quand même… parce que ça me donne encore plus envie de le lire :-))
Ah mais attention !! Ça n’a rien à voir avec Les chutes, en dehors du destin de femme, c’est pas le même traitement du tout :p
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