- Auteur : Joyce Carol Oates
- Ma note :
- Lu : janvier 2017
1987, dans un quartier noir délabré d’une ville du New Jersey, une mère cherche partout sa fille, Sybilla, disparue depuis trois jours. L’adolescente sera retrouvée, ligotée, le corps barbouillé d’excréments et d’injures racistes, dans les sous-sols d’une vieille usine abandonnée. Emmenée aux urgences, elle accuse des « flics blancs » de l’avoir enlevée, battue et violée.
Ce terrible acte de violence choque profondément sa communauté, où personne ne fait confiance à la police blanche, et exacerbe les tensions raciales frémissant depuis des décennies. Un pasteur noir et son frère, avocat militant des droits civiques récupèrent l’affaire qu’ils exploitent au mieux de leurs intérêts ; imités rapidement par le Prince noir, leader du Royaume de l’islam, plus redoutable encore. La vérité n’importe guère à ces leaders religieux, les médias s’en soucient tout aussi peu, et pourtant les faits se révèlent progressivement de plus en plus troubles.
Dans un chœur de voix et de points de vue qui va crescendo – de la police aux médias en passant par la victime et sa famille –, l’auteure offre une nouvelle compréhension, choquante, du pouvoir et de l’oppression, de l’innocence et de la culpabilité, de la vérité et du sensationnalisme, de la justice et du châtiment.
S’inspirant, comme souvent, d’un fait divers réel, Joyce Carol Oates explore les lignes de faille d’une société toujours troublée par la question de la race et signe un roman profond et incendiaire.
Mon avis
Ceux qui ont lu Eux, ne manqueront pas de faire un rapprochement avec Sacrifice. Les thèmes du racisme, de la ségrégation officieuse, des classes sociales défavorisées, de la misère sont à nouveau développés ici dans une intrigue qui se déroule des années après, avec toujours en toile de fond les émeutes de Detroit en 1967.
Oates s’est directement inspirée d’un fait divers de 1987, lorsqu’une adolescente afro-américaine du New Jersey a accusé de viol des policiers Blancs. D’abord soutenue massivement par sa minorité, le procès a fini par mettre en lumière un canular, imaginé par la jeune fille et sa mère, pour échapper à la colère et à la violence du beau-père, condamné dans le passé pour le meurtre de sa première femme. L’auteur nous fait vite comprendre que l’histoire est fausse, le suspens ne réside donc pas là, car Oates vaut mieux que cela, et échafaude une intrigue où le principal atout est l’objectivité la plus totale. Comment, pourquoi, ce sont les vraies questions, et la façon dont tourne l’affaire fait aussi froid dans le dos que le crime supposé.
Joyce Carol Oates excelle dans l’analyse de ses contemporains, et même lorsqu’elle distille une certaine émotion, il n’en reste pas moins qu’elle ne prend pas parti, ni pour les uns, ni pour les autres. Aucun manichéisme dans son propos, ou dans sa façon de traiter son sujet. Elle décrit les événements froidement, efficacement, sans verser dans l’émotionnel, car ce dernier s’impose de lui-même, sans artifice. Le cas de Sybilla sert de prétexte et illustre de manière froide et directe l’existence d’un racisme anti-blanc, tout autant que d’un racisme anti-noir. Qu’il soit noir ou blanc, l’humain n’est ici qu’un réceptacle de haine, ce fait divers dont on comprend aussitôt qu’il s’agit d’un canular, laisse le lecteur avide de savoir où cela va mener Sybilla, et assiste, effaré, à la récupération dont son histoire va faire l’objet. La manipulation des esprits, déjà fragilisés, et des opinions, souvent tranchées, l’exploitation par des militants pour les droits civiques, par des religieux de tout bord, par une presse soucieuse de dénoncer les travers de la société, tout cela contribue à nourrir un racisme déjà trop présent, des deux côtés.
Les émeutes de 1967 déjà évoquées dans Eux, sont un souvenir bien ancré dans les mémoires. Le racisme quotidien, la misère de certains quartiers, la méfiance permanente des Noirs envers les Blancs et notamment envers les forces de l’ordre, tout ceci engendre une ambiance lourde et glauque, malsaine, et pourtant bien réelle. La diversité des points de vue ajoute au réalisme du récit, déjà riche par son propos..
L’optimisme n’est pas à l’ordre du jour, on constate d’ailleurs que les problématiques soulevées sont toujours d’actualité, le portrait d’une Amérique raciste, misogyne, inculte, bigote et facilement manipulable est tout simplement glaçante de vérité. Mais comme chez Oates rien n’est jamais tout blanc ou tout noir (ahah !) on peut garder espoir en se souvenant qu’elle n’est pas que cela.
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