- Auteur : Joyce Carol Oates
- Ma note :
- Lu : novembre 2015
Tout semble aller comme il se doit dans la petite ville de Carthage en ce début de juillet 2005, si ce n’est que Juliet Mayfield, la ravissante fille de l’ancien maire a, pour des raisons peu claires, rompu ses fiançailles avec le caporal Brett Kincaid, héros de retour de la guerre d’Irak. Un héros très entamé dans sa chair et dans sa tête, dont pourtant Cressida, la jeune sœur rebelle de Juliet, est secrètement amoureuse. Or, ce soir-là, Cressida disparaît, ne laissant en fait de traces que quelques gouttes de son sang dans la jeep de Brett. Qui devient alors le suspect numéro 1 et, contre toute attente, avoue le meurtre…
Sept ans après, un étrange personnage surgit qui va peut-être résoudre l’impossible mystère. C’est ce que vise Joyce Carol Oates qui est sur tous les fronts : violence, guerre, dérangement des esprits et des corps, amour, haine. Et même exploration inédite des couloirs de la mort… Un roman puissant et captivant.
Mon avis
Zeno et Arlette Mayfield ont deux filles, l’aînée, Juliet, aimée de tous pour sa beauté et son caractère facile, et Cressida, une surdouée peu encline aux relations sociales, suspectée d’autisme, vraisemblablement asperger. La « jolie » vient de rompre ses fiançailles avec Brett, gentil garçon revenu d’Irak avec de terribles séquelles et un lourd passif de guerre. Peu après, lorsque Cressida disparaît et que Brett est le dernier à l’avoir vue vivante, la vie des Mayfield bascule irrémédiablement.
Les premières pages du roman mettent en scène les recherches le lendemain de la disparition de Cressida. Tension, peur, espoir et désespoir, le ton est donné. Oates nous plonge dans ce drame familial avec une narration toujours aussi éprouvante que délicieuse, usant de flashbacks et de digressions pour mieux immerger le lecteur dans le récit. Les points de vue se succèdent, on passe d’un personnage à l’autre en s’imprégnant de la personnalité de chacun, car comme toujours chez Oates l’aspect psychologique est très fouillé, chaque profil est ciselé, chaque point de vue émaillé d’anecdotes et de détails qui rendent cette famille et son histoire plus vrais que nature.
Certains personnages étant un peu chamboulés, pour ne pas dire complètement perturbés et carrément à l’ouest, les chapitres qui leur sont consacrés peuvent paraître confus, fouillis, à l’image du personnage en question. Par conséquent, l’immersion est totale.
Le personnage de Cressida est atypique, fabuleux et très bien construit, son comportement incompréhensible prend tout son sens lorsque l’on comprend et admet sa différence. Brett, les parents de Cressida, sa sœur, sont également des personnages forts. Les relations des uns avec les autres sont décrites avec réalisme, leur évolution, les méandres de leurs questionnements ne nous sont pas cachés, la disparition de Cressida bouleverse l’ordre familial et aucun de ses membres ne réagit de la même façon. Une situation qui n’est pas sans rappeler Nous étions les Mulvaneys, autre chef-d’œuvre de l’auteur, mettant en scène le délabrement lent et définitif d’une famille qui ne sait pas faire face au drame qui l’a frappée.
L’arrière-plan social et politique de l’histoire n’est pas négligé non plus, car Oates évoque largement l’implication des USA en Irak après le 11 septembre et ses répercussions à l’échelle de Brett. Le sujet de la peine de mort fait carrément l’objet d’une longue partie faisant également office d’intermède dans l’histoire de la famille Mayfield. La visite d’une prison et de son couloir de la mort fait froid dans le dos. Ce passage largement développé ne manque pas non plus d’ironie lorsqu’il est évoqué le fait que le condamné à mort peut avoir le choix de la méthode. Charmant !
La dernière partie apporte son lot d’émotions avec un dénouement à la hauteur du reste de l’intrigue. Le personnage de Cressida tout particulièrement restera de par sa différence un personnage mémorable et poignant.
Joyce Carol Oates nous livre ici une tragédie familiale puissante et bouleversante. Le drame de la famille Mayfield sert de toile de fond à une critique subtile mais sans équivoque de certains aspects de l’Amérique.
Lu dans le cadre de mon auto-challenge PAL à 20/40=50%
2 remarques pertinentes pour “Carthage”
J’ai lu Les chutes du même auteur et je reconnais là des éléments qui m’avaient beaucoup plus : la psychologie des personnages, un personnage atypique, le background socio-politique, la tragédie familiale. Cette auteure est vraiment passionnante j’espère pourvoir lire d’autres livres d’elle à l’occasion.
Heureusement elle est particulièrement prolifique, ça laisse du choix et de la quantité 🙂
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