- Auteur : Joyce Carol Oates
- Ma note :
- Lu : mai 2016
Avec Daddy Love, Oates emmène son lecteur aux frontières de l’horreur. Une horreur qui commence dans le centre commercial où Robbie, cinq ans, l’enfant chéri des Whitcomb, est enlevé sous les yeux de sa mère.
Le ravisseur, un technicien du kidnapping, collectionne les petits garçons dont il se débarrasse dès qu’ils atteignent onze ou douze ans. Devenu « Gideon », Robbie va ainsi passer sept ans à « obéir » à Daddy Love afin de survivre aux traitements abominables que celui-ci lui fait subir.
Mais qui est Daddy Love ? Un homme charmant du nom de Chet Cash. Pasteur itinérant de l’Église de l’Espoir éternel, dont les prêches subjuguent l’assistance, c’est aussi un citoyen actif et estimé du village de Kittatinny Falls, un artiste admiré faisant commerce d’objets en macramé (fabriqués par Gideon), un homme que les femmes trouvent irrésistible. Tandis qu’il continue allègrement « d’éduquer » ses proies.
Et puis, soudain, le ciel ayant enfin, semble-t-il, décidé de se pencher sur cette affaire, Daddy Love est arrêté, Robbie retrouve sa famille. En apparence tout se passe bien… En apparence seulement, car pour nous faire vivre ce retour, Oates déploie de nouveau les raffinements d’une cruauté ravageuse que le lecteur ne manquera pas d’apprécier tout en se posant la question : Redevient-on un être normal après sept ans d’intimité avec un monstre ? Une intimité qui a par instants des résonances de complicité ?…
Mon avis
Le thème abordé dans Daddy love est des plus délicats. Il fallait au moins le talent d’Oates pour en faire un récit lisible et sans voyeurisme. Les premiers chapitres sont consacrés à l’enlèvement de Robbie, qui nous est raconté plusieurs fois. Cette répétition où des ajouts viennent se greffer au déroulement de l’action, nous plonge froidement dans la gravité du moment. On imagine la mère ressassant ce souvenir de la même manière, essayant de se jouer la scène encore et encore pour tenter de comprendre.
Le lecteur suit alors Robbie, devenu Giddeon, et son ravisseur. L’auteur traite son sujet de manière froide et objective, elle nous rapporte des faits, n’interprète pas, n’essaie pas de rendre sympathique qui que ce soit et n’invite pas non plus à détester le ravisseur. Les faits sont là, dans toutes leur horreur, et Oates se garde bien d’en rajouter. Si quelques rares et très brefs passages sont à deux doigts de semer le malaise, ils n’entament en rien la distance établie entre le récit et le lecteur. Celui-ci est bien évidement horrifié, choqué, mais on ne tombe jamais dans le voyeurisme ni le pathos.
L’auteur nous immerge malgré tout dans l’histoire avec une grande habileté, et nous décrit le calvaire des parents ainsi que celui de Robbie aux mains de son ravisseur avec sobriété. L’horreur est là, froide et glauque. Le couple que forment Dinah et Whit se désagrège lentement à la suite de la tragédie, chacun essayant de garder la tête hors de l’eau à sa manière. La cruauté des faits est aggravée par une incompréhension mutuelle et une incapacité à faire face ensemble. La situation de Robbie est clairement bien pire et même difficilement comparable. Les années passées sous le joug de Daddy love ne sont que conditionnement psychologique et asservissement sexuel. Si ce dernier aspect est à peine évoqué, le lavage de cerveau est quant à lui terrifiant d’efficacité. Des punitions d’une violence et d’une perversité sans nom, des récompenses et des flatteries, un aller-retour incessant entre protection et domination font de Robbie un enfant terrifié mais, et cela accentue encore un peu le côté glauque, rapidement formaté, dressé. En grandissant il commence malgré tout à comprendre que son avenir sera bien plus funeste encore, et ne se fait pas d’illusion quant à la profondeur de l’amour que semble lui porter Daddy love. Malgré cette relative mais salvatrice clairvoyance, le mal est fait, Robbie est devenu Giddeon, que reste-t-il alors du petit garçon de cinq ans ?
Oates pose ici de nombreuses questions autour d’un drame qu’elle décortique presque scientifiquement. Comment se remet-on d’une telle tragédie, peut-on, doit-on garder espoir ? Et peut-on se remettre d’une telle enfance, d’une telle domination ? Un enfant peut-il se reconstruire après un conditionnement de cette envergure et des sévices quotidiens ? Est-il possible ne pas voir ou soupçonner l’horreur qui se déroule peut-être à côté de chez soi ? Car ici le prédateur n’a pas le visage du vice, il passe inaperçu, fait partie de la communauté, et est même apprécié.
La conclusion du roman est très ambiguë et laisse planer le doute. Malgré la noirceur du sujet et quelques passages explicites ont évite néanmoins un trop grand malaise, on reste assez distant des personnages pour pouvoir poursuivre la lecture. Encore un très bon cru d’une auteur qui excelle à raconter et disséquer les aspects les plus obscurs de l’humain.
4 remarques pertinentes pour “Daddy love”
Tu donnes envie avec tes Oates 😉
Je note aussi celui-là dans un coin de ma tête!
Mon auteur chouchou parmi mes chouchous <3 Il faut absolument que tu la lises, celui-ci ou un autre ! :D
Articles le même jour. Les grands esprits, toussa…
Presque ! Le mien est du 29 ?
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