- Auteur : Lionel Shriver
- Ma note :
- Lu : 06/2014
À la veille de ses seize ans, Kevin Khatchadourian exécute neuf personnes dans son lycée. À travers des lettres au père dont elle est séparée, sa mère retrace l’itinéraire meurtrier de leur fils. Un roman coup-de-poing, violent, complexe, qui s’attaque aux pires des tabous.
Mon avis
We need to talk about Kevin est également un film dont j’avais vaguement entendu parler lors d’un festival de Cannes de je ne sais plus quelle année. Sur le point de le visionner, j’ai réalisé qu’il était basé sur un best-seller, dont je n’avais pas entendu parler. Oui, je suis à la pointe de l’info !
J’ai donc lu le livre avant visionnage, et ô stupeur ! prends-toi une baffe dans la tronche. Oui, ce livre est une baffe dans la tronche. Tout d’abord, l’auteur, comme son nom de l’indique pas, est une femme. Le contraire m’aurait inquiétée, tant le ressenti de la narratrice est d’une rare profondeur. Un homme aurait eu du mal à rentrer dans l’esprit d’une femme aussi profondément.
Eva Khatchadourian entreprend une correspondance avec son ex-mari, où elle lui fait part de ses moindres réflexions et interrogations concernant leur fils Kevin, deux ans après le massacre qu’il a perpétré dans son école. Entre introspection, aveux, et confession, le récit d’Eva est une véritable analyse cherchant à expliquer le geste de son fils. Nous découvrons quelle a été la vie de couple d’Eva et de Franklin, avant la naissance de Kevin, les deux personnalités sont détaillées, disséquée, Eva est une femme très amoureuse de son mari, mais profondément nomade, un poil centrée sur elle-même, pas particulièrement pressée de devenir mère, tandis que Franklin est un photographe tout aussi amoureux, mais déjà prêt pour la paternité. Le jour où Eva se décide enfin, voyant la maternité comme un voyage dans un nouveau pays, c’est le début de la fin. Bien avant la naissance, Eva se méfie de son fils, avec raison si l’on en croit les réactions de ce dernier dès sa mise au monde. Se sentant coupable de ne pas assez aimer son fils, de ne pas avoir mis le pied dans ce qu’elle envisageait comme un nouveau pays à conquérir et explorer, elle fait son possible pour lui témoigner de l’affection et tenter d’être une mère aimante. Mais Kevin n’est pas dupe de ses efforts, il est un enfant difficile, dont le comportement diffère lorsqu’il est en présence de son père. Ce dernier ne partage pas les doutes et les craintes de sa femme, et voit sans on fils un garçon tout à fait normal.
La voix d’Eva est bien entendu subjective, nous n’avons que son point de vue de mère rongée par la culpabilité (ou pas) qui cherche à comprendre comment et pourquoi son fils a pu commettre un tel acte, ce qu’elle aurait pu/dû faire ou ne pas faire. Au fil d’un pavé dense de près de 600 pages, Eva décortique ses souvenirs, ses pensées les plus intimes, ses réflexions autour de l’enfance de Kevin, l’analyse est déconcertante de profondeur, mais n’apportera pas de réponse claire et tranchée, le lecteur restera dans le doute. Le comportement d’Eva à la fin du livre peut laisser perplexe, voire choquer, mais il est également explicable, jusqu’à un certain point. Néanmoins, nous ne savons pas si l’éducation ou le contexte affectif sont pour quelque chose dans l’acte commis. Le manque d’amour maternel l’a-t-il poussé à se faire remarquer de la pire des manières pour attirer l’attention d’une mère défaillante ? Est-il foncièrement mauvais et nuisible, puisque l’amour de son père n’a pas suffi à le garder sur le droit chemin ? Dans tous les cas, Kevin est selon moi un enfant malfaisant, et, quelles qu’en soient les raisons, il prend plaisir à faire le mal et a parfaitement conscience des lacunes de sa mère. Son acte est réfléchi, calculé, même si ce qu’il répond à sa mère lorsqu’elle lui demande « pourquoi » laisse pantois.
Écrit comme un polar, Il faut qu’on parle de Kevin maintient le suspens même si l’on sait déjà par qui le crime a été commis. Le suspens réside dans le pourquoi, et comment cela va-t-il finir entre Eva et son fils. Le twist pour le moins inattendu (quand on n’a pas été spoilée comme je l’ai été !) des dernières pages accentue le caractère tragique et fataliste du récit.
Le film quant à lui, est une véritable prouesse technique. Si le roman est dense, le film est d’une sobriété et d’un dépouillement déconcertants. L’économie de dialogues laisse la place aux images, et un simple plan en dit aussi long de 3 chapitres. Au fil de flashbacks très fréquents, diverses époques se croisent. S’il a été impossible de transcrire toutes les réflexions d’Eva, les images suffisent à traduire l’essence même du livre, les relations de la mère et du fils sont résumées en une image. Les acteurs sont excellents et collent parfaitement aux personnages. Un tel roman aurait pu passer pour inadaptable tant le propos est foisonnant, mais la réalisatrice Lynne Ramsay a réussi l’exploit avec une grande maîtrise de son art.
Valériane a elle aussi eu droit à sa baffe dans la tronche.
17 remarques pertinentes pour “Il faut qu’on parle de Kevin”
Je suis très tentée par le film et par le livre qui traine pourtant sur mes étagères depuis bien une année. Il faut absolument que je lise le roman avant de tomber sur le film à la télé, les deux ont l’air de bien se compléter…
Le film est passé il y a 2 ou 3 semaines sur ARTE 🙂 En tout cas, il vaut mieux le lire AVANT, et compléter par le film, l’effet est d’autant plus saisissant 🙂
J’ai kiffé grave! Belle chronique. J’espère avoir su rendre aussi tout ce que j’ai ressenti à travers ces pages. J’ai regardé le film dans la foulée et j’étais curieuse d’avoir le point de vue de quelqu’un qui n’avait pas lu le livre avant (ma moitié). C’est vrai qu’il est très « light » à côté de la densité du roman, mais il rend bien cette impression de malaise qui ressort d’un bout à l’autre.
Ils ont réussi à raconter autant avec beaucoup moins, au lieu d’essayer de tout mettre en vrac, ils ont opté pour une sobriété éloquente 🙂
En effet. J’ai bien aimé le découpage, par contre « Moitié » avait vraiment du mal au début. Je pense que c’est vraiment bien d’avoir lu le livre avant.
Ma moitié ne l’avait pas lu non plu, mais apparemment il a adhéré complètement, le début est tellement intriguant ! :p
Au bout d’une demi heure, ça a été 🙂
Il voulait le lire aussi en plus.
Il est dans ma PAL. Après un tel avis, il ne va peut-être plus y rester longtemps !
Bon je suis autant à la page que toi, car je suis complètement passée à côté du film… et du livre. Mais la façon dont tu en parles ne me pousses qu’à l’ajouter à ma liste de lecture. Personnellement, je préfère lire les livres plutôt que de voir le film. A part quelques très rares exceptions, c’est quelque chose que je ne fais jamais, que celle de visionner un film tiré d’un livre.
Pendant longtemps ça m’énervait de voir à quel point un film pouvait s’éloigner d’un livre ayant pourtant servi de base, mais j’aime aussi le cinéma et j’ai appris à faire la distinction entre le livre et le film, je ne m’attends plus à voir le livre en image, je m’attends juste à un film, et au pire, je sors déçue, mais le film sera en cause, pas l’adaptation, au mieux, le film est excellent, et l’adaptation réussie, c’est plus rare, mais entre les deux, on peut avoir des bons films, tout simplement. Par contre, je ne verrai JAMAIS le film avant de lire le livre 😛
Je n’ai pas lu le livre, mais ai vu l’adaptation. Je n’en savais quasiment rien en m’y essayant (sans doute une personne qui me l’avait conseillé, sans rien dire de plus). Mais quelle claque ! J’ai trouvé les comédiens très bons, la façon de filmer aussi. On en vient vraiment à avoir des émotions très fortes (comme en coller une bonne à c’gamin). Sans aucun doute, il est aussi dérangeant. Et je me suis demandée plusieurs fois ce que je ferai à la place d’Eva.
Je dois dire que vous avez piqué ma curiosité ! C’est une histoire qui m’intéresse énormément !
Et puis votre chronique est si bien écrite qu’on ne peut qu’avoir envie de le lire !
Il faut le lire mais aussi le voir ! 😀
Vaste question hein ? -_-
Pour ma part, j’ai vu le film sans avoir lu le livre. Je n’ai su qu’après (oui, pas très à la page non plus…:p) qu’il était tiré d’un roman. Sans rien savoir, je me suis laissée porter par le film et me suis trouvée immédiatement plongée dans cette atmosphère dense et mystérieuse. Les acteurs sont magistraux et le film semble aller à l’essentiel, met le doigt aux endroits qui font mal…Ton article me donne très envie de lire le roman qui soit certainement développer l’introspection de la mère comme le quotidien étrange de cette famille. En tous cas, une belle claque comme vous dites tous. Ma « moitié » ne suivait pas particulièrement le film et s’est pourtant fait happer. Grand moment de cinéma et sans doute de littérature !
En effet, dans le livre l’introspection va très loin, c’est confondant de réalisme.
et un de plus sur ma PAL 😉
Les commentaires sont désormais fermés.
Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Okenwillow.