- Auteur : Elizabeth Gaskell
- Ma note :
- Lu : février 2013
Longtemps éclipsée par les Brontë et Jane Austen, Elizabeth Gaskell a été redécouverte et rééditée depuis quelques années en Angleterre, sans doute grâce à la sûreté et à l’originalité de son talent — Dickens la surnommait sa “chère Schéhérazade” —. Elle écrivit tardivement, publia dans des revues, comme le Blackwood’s magazine, et connut très vite le succès dès son premier roman Mary Barton paru anonymement.
La sorcière de Salem (Loïs, the witch) est la description de la paranoïa implacable d’une petite ville. Nous sommes en 1691 et Loïs Barclay arrive à Salem pour rejoindre un oncle — elle vient de perdre sa mère et son père et a donc quitté son Angleterre natale. Elle se retrouve seule et isolée dans cette Nouvelle-Angleterre où va avoir lieu l’un des épisodes les plus tragiques de la toute jeune Amérique, celui des Sorcières de Salem, qui marquera pour longtemps la conscience collective.
En s’appuyant sur des faits historiques, comptes rendus des procès et suites de l’affaire, Elizabeth Gaskell parvient à rendre magistralement la montée du péril, l’atmosphère de délation et de haine, la folie collective qui vont broyer à jamais des êtres de chair et de sang.
Il est permis de penser que le destin de Loïs Barclay nous touche d’autant plus qu’Elizabeth Gaskell a mis beaucoup d’elle-même dans ce personnage d’orpheline perdue dans un milieu hostile. Son sens de la justice et de la responsabilité va de pair avec sa faculté de communiquer l’émotion face à l’innocence bafouée et à la folie des hommes.
Mon avis
J’avais déjà lu deux nouvelles de la copine de Dickens, et ça ne m’avait pas spécialement interpellée. Avant d’attaquer Nord et Sud, j’ai retenté avec La sorcière de Salem. Nous y voilà ! Le propos est déjà bien lourd de sens, l’auteur nous relate des faits franchement horribles et désormais mythiques au travers du destin funeste d’une jeune Anglaise. Orpheline depuis peu, Loïs Barclay exauce le dernier vœu de sa mère et part rejoindre son oncle paternel installé en Amérique, laissant son amoureux en Angleterre. Celui-ci lui a fait la promesse de venir la chercher pour l’épouser, dans quelques mois, le temps de convaincre son père. En attendant, la jeune orpheline se retrouve sous le toit de son oncle qui ne tarde pas à trépasser, la laissant aux mains d’une tante pas très engageante. En mal d’affection, Loïs sympathise néanmoins avec l’une de ses cousines, et allume dans le cœur de son fiévreux cousin un amour hallucinatoire et unilatéral. Outre le choc des cultures, il y a aussi le choc du culte ! Car bien que croyante et pratiquante, la jeune fille passe pour une hérétique aux yeux de ses pairs, obsédés par Dieu, rendus fous de peur à l’idée d’une visite de Satan. L’atmosphère de paranoïa est entretenue par la présence des Amérindiens, qui constituent une menace permanente, un danger omniprésent. La situation politique étant à cette époque très floue pour tout le monde, un puissant sentiment d’insécurité règne, et la communauté ne trouve refuge et réconfort que dans la Bible. Sur ce terreau de croyances irrationnelles et de superstitions tenaces, la peur de Satan s’accompagne de celle de la sorcière. Dans un tel contexte, où la superstition et l’ignorance dominent, le dérapage est à peu près inévitable. Un événement peu banal est vite interprété comme une manifestation de Satan. On menace et on torture pour faire cracher le morceau à des gens qui n’ont rien demandé, et qui n’ont même rien à voir avec ce qu’on leur reproche. On avoue tout et n’importe quoi, on dénonce n’importe qui. Le coup classique de l’injustice portée à son paroxysme. Loïs, tout aussi craintive et finalement aussi superstitieuse que ses accusateurs, se retrouve donc à la place de la sorcière, sans espoir de prouver son innocence. Il n’y a pas grand-chose à faire contre le poids de la religion, de l’ignorance, de la crédulité et de faiblesse, la logique et le bon sens n’ayant pas leur place, le destin de Loïs est scellé.
Ce court récit illustre magnifiquement la montée en puissance d’une hystérie collective dont le moteur est le fanatisme religieux, lorsque l’Homme devient pire qu’une bête, aveuglé par son ignorance et sa bêtise, la peur de l’autre n’étant alors que le déclencheur d’un comportement meurtrier. Impuissant, le lecteur assiste au dénouement fatal, frustré par tant de bêtise et d’injustice. Efficace, et révélateur de ce que peut faire l’Humanité dans ses pires moments, encore aujourd’hui.
2 remarques pertinentes pour “La sorcière de Salem”
Je ne connaissais pas ce titre. Je vais aller voir!!
Voila un livre qui m’interesse !
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