- Auteur : John Irving
- Ma note :
- Lu : novembre 2014
Dans l’orphelinat de Saint Cloud’s, l’excentrique Dr Larch officie de manière très spéciale. Il assure » l’œuvre de Dieu » en mettant au monde des enfants non désirés et réalise » la part du diable » en pratiquant des avortements clandestins. Homer Wells, le protégé de Wilbur Larch, ne se voit pas vivre ailleurs qu’à Saint Cloud’s. Auprès de ce dernier, il va apprendre le » métier « , et peu à peu tracer son chemin en s’éloignant avec audace des plans du docteur. Mais s’il part, saura-t-il s’adapter ?
Mon avis
Mon premier Irving. Mon premier auteur en « I ». Gros sujet, gros pavé. Le docteur Wilbur Larch administre un orphelinat du Maine au début du XXe siècle, assisté par deux infirmière dévouées, Edna et Angela. Obstétricien, Larch met au monde des orphelins, mais sa conscience le pousse aussi à enfreindre la loi en pratiquant des avortements illégaux, du moment que la vie de la mère n’est pas mise en danger.
Le début du roman plante le cadre, l’orphelinat, son personnel restreint mais attentif, et quelques flashbacks nous en apprennent un peu plus sur la jeunesse et les motivations de Wilbur Larch. D’où vient-il, comment est-il devenu ce vieux célibataire qui a fait un sacerdoce de son métier, d’où vient sa motivation et sa décision de passer outre une loi qu’il juge contraire aux libertés de la femme et de l’enfant ? L’auteur nous dresse un portrait complet du personnage, et d’une manière générale, il excelle à donner vie à tous ses protagonistes. Chez Irving, la vie foisonne, ses personnages sont consistants, les dialogues millimétrés contribue à un plus grand réalisme dans les rapports entre eux, l’humour, souvent noir et subtil, est omniprésent, le thème de l’avortement en est allégé, l’aspect glauque et tragique de la chose en est adouci. Néanmoins, l’auteur ne nous épargne pas certaines scènes explicites et détaillées, pour mieux faire prendre conscience au lecteur de la réalité d’un avortement. Au-delà d’un sujet (hélas) toujours soumis à la polémique, Irving traite par le biais de l’avortement de la liberté de choix, spécialement la liberté et le respect de la femme et de l’enfant. Il aide à mettre au monde des orphelins lorsqu’il n’a pas le choix, que la mère est en bout de course et qu’un avortement est impossible, mais il préfère clairement éviter de contribuer à la multiplication d’enfants non désirés, issus de viols et d’incestes. Pour lui, chaque femme devrait avoir le choix et la possibilité de ne pas donner naissance à des orphelins.
Le personnage de Wilbur Larch est fascinant, attachant, très réaliste, c’est le saint homme (surnommé d’ailleurs Saint Larch par ses infirmières) par excellence, dévoué entièrement à son métier et au bien-être des mères qui viennent à Saint-Cloud’s pour accoucher et abandonner leur enfant non-désiré, ou pour avorter. La détresse de ces femmes est remarquablement évoquée, de même que la situation dramatique des orphelins de Saint Cloud’s. Parmi eux se trouve le petit Homer Wells, enfant que la fatalité et une succession de circonstances fâcheuses ramèneront toujours à Saint Cloud’s, qui par la force des choses deviendra son véritable foyer. Homer Wells fera figure de fils adoptif non reconnu mais aimé et choyé par Larch et les nurses Edna et Angela. Cette « famille » hors norme, ce contexte social peu commun, feront d’Homer un jeune homme innocent des choses de la vie et de la société, ignorant bon nombre de conventions sociales. La relative inadaptation d’Homer sera compensée par une formation au métier d’obstétricien et d’accoucheur, et une connaissance aiguë du métier. Devenu apprenti auprès du vieillissant Wilbur Larch, Homer aspire malgré tout à autre chose, en dépit de son don et ses compétences évidentes en la matière. Comme certains parents, Larch espère que son fils spirituel suivra ses pas, et n’hésite pas à le pousser lourdement en ce sens, oubliant un peu qu’Homer a aussi droit à son libre arbitre et à son choix de vie, au même titre que les mères désespérées qui décident d’avorter. Aveuglé par sa mission quasi-divine, Larch tombe de haut lorsque son disciple tant aimé lui fait comprendre que s’il accepte de procéder à des accouchements, sa conscience l’empêche de « tuer ». Pour les deux hommes c’est le début d’un désaccord qui s’étalera sur des années, même si Larch respecte les décisions d’Homer. Ce sera pour ce dernier l’occasion de connaître le monde hors de Saint Cloud’s, avec la bénédiction de Larch, car celui-ci, en père poule tout en retenue et non-dits, ravale son chagrin de voir partir Homer et le pousse malgré vers la sortie, pour qu’il puisse vivre sa vie. Dualité permanente chez le vieux Larch, qui, sûr de son fait concernant la vocation d’Homer, le laisse partir, ayant bon espoir de le voir revenir prendre sa suite.
Tout le mystère et le suspens du livre résident dans cette question, Homer succombera-t-il à l’appel de sa vocation, ou celle-ci est-elle fantasmée par Wilbur Larch, vieil athée auto-investi d’une œuvre quasi-divine ? Le roman d’Irving est foisonnant, il laisse le temps à ses personnages d’évoluer, de se construire, de changer, de vieillir. Le propos est dense, les thèmes abordés d’une grande gravité, toujours compensés par le ton subtilement humoristique, dosé à la perfection, et qui tombe toujours à point. Irving prend le temps sans en perdre, dans une intrigue qui s’étale pourtant sur presque cinquante années. Il n’hésite pas à laisser le lecteur dans l’inconnu en usant de non-dits ou de bonds le temps. Ce roman regorge de personnages comme on en rencontre peu, le propos est difficile mais admirablement traité, avec sobriété et virtuosité. Un énorme coup de cœur pour moi, qui découvre ENFIN l’œuvre de John Irving. Il était temps !
Une remarque pertinente pour “L’œuvre de dieu, la part du diable”
Un de mes top ten, celui -là, avec pas loin derrière Le monde selon Garp
Kittiwake
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Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Ma Grosse PàL.