- Auteur : Henri Lœvenbruck
- Ma note :
- Lu : janvier 2016
« Nous avions à peine vingt ans et nous rêvions juste de liberté. » Ce rêve, la bande d’Hugo va l’exaucer en fuyant la petite ville de Providence pour traverser le pays à moto. Ensemble, ils vont former un clan où l’indépendance et l’amitié règnent en maîtres. Ensemble ils vont, pour le meilleur et pour le pire, découvrir que la liberté se paie cher. Nous rêvions juste de liberté réussit le tour de force d’être à la fois un roman initiatique, une fable sur l’amitié en même temps que le récit d’une aventure.
Avec ce livre d’un nouveau genre, Henri Lœvenbruck met toute la vitalité de son écriture au service de ce road-movie fraternel et exalté.
Mon avis
Je lis Lœvenbruck depuis 2005, lorsqu’il m’a contactée au tout début de mon blog pour faire connaître son roman, Le Testament des siècles. Depuis, en dehors de ses deux trilogies jeunesse, j’ai tout lu de lui, et j’adhère complètement. Néanmoins, avec L’Apothicaire, j’avais trouvé que l’auteur avait franchi un nouveau palier. Je m’attendais donc à quelque chose d’également différent de ses thrillers avec Nous rêvions juste de liberté, car l’auteur l’avait évoqué sur sa page Facebook : ce serait son œuvre la plus personnelle.
J’ai terminé la lecture de ce roman puissamment motorisé cette nuit vers 1h30, après plusieurs séances de lecture tout aussi tardives et hypnotiques. Car si l’on en commence la lecture, on ne sait pas où cela va nous mener, et en ce sens, le lecteur se retrouve un peu comme Bohem, le héros flamboyant de cet épique road movie initiatique. On sait quand on part, mais on ne sait pas quand on va arriver, ni où.
Le personnage d’Hugo, alias Bohem, nous parle avec un langage verdoyant et inventif, souvent imparfait, mais du même coup empreint d’une grande poésie. Son « parler » est coloré, attendrissant, imaginatif, addictif, et en quelques paragraphes, le ton est donné. Hugo est un adolescent marqué par un deuil, délaissé par des parents rongés par le chagrin. Sa vie commence lorsqu’il change de lycée et y rencontre Freddy et ses acolytes Alex et Oscar. On se prend immédiatement d’empathie pour ces rebelles en herbe, délinquants en puissance mais tellement sympathiques.
On ne sait pas réellement où se déroule l’action, les noms de lieux sont francophones, certains existent. On ne sait pas non plus à quelle époque se situe l’intrigue, sans doute les années 70 ou 80, des indices pouvant faire pencher aussi pour l’un que pour l’autre. Les thèmes du roman sont finalement intemporels et universels, et les lieux et dates sont des détails secondaires.
La première partie du livre nous pose ainsi les bases d’une amitié fraternelle entre ces garçons qui se sont trouvés et reconnus, dans un arrière-plan où la misère sociale et affective jouera un rôle déterminant dans les choix des protagonistes. Les premiers actes de rébellion, les premiers petits délits, les premiers émois amoureux, les premières déceptions et trahisons.
La seconde partie marque un tournant dans la vie de Bohem. Nous ne savons toujours pas vraiment ni où ni quand, mais les décors, l’environnement, et certains détails impalpables évoquent clairement les États-Unis et ses grands espaces. Le départ de Bohem et de ses « frères » est le début d’une fuite en avant vers l’inconnu. Le contraste avec la vie à Providence est frappant. Les limites de la ville et du monde connu explosent, la moto les mène aussi loin qu’il est possible, et leur permet de poursuivre un but aussi hasardeux que douteux. Un but qui ne sert que de prétexte à cette course folle dans un monde qui se dévoile enfin à eux. De rencontres en découvertes, de nouveaux délits en parties de rigolade (les deux étant intimement liés), leur amitié va s’en trouver renforcée. Le lecteur en apprend également beaucoup sur le monde des motards, on découvre tout un univers riche en personnages hétéroclites, plus ou moins cassés, souvent en marge et pas toujours bien avisés.
À ce stade du livre, on a l’impression d’avoir lu deux romans différents, deux époques distinctes, et pourtant le récit s’étale sur une période relativement courte, mais l’intensité de ce que vit Bohem renforce la sensation d’un foisonnement d’expériences et d’événements qui s’enchaînent avec la frénésie de la jeunesse. Bohem réfléchit peu, il est dans l’instant, il vit, il s’adapte, se contente de peu, vit d’amitié, de drogues, de cambriolages divers, et d’excès en tout genre. Malgré sa débauche galopante et une moralité réduite au minimum, il reste fidèle à quelques valeurs, et on le trouve toujours sympathique et attendrissant dans sa soif de liberté. Bohem, c’est l’innocence, l’utopie, la loyauté, c’est clairement un délinquant, et pourtant sa noblesse de cœur ne fait aucun doute. Bohem a perdu quelque chose, il y a longtemps, l’a retrouvé un moment, et n’a de cesse de le retrouver, ou du moins de combler le vide qui le ronge.
La troisième et dernière partie fait suite à un nouveau virage dans la vie de Bohem, et, loin de se calmer, sa fuite le mène toujours plus loin, jusqu’à de nouvelles rencontres, encore plus déterminantes pour la suite des événements. Jusqu’au jour où Bohem doit prendre des décisions d’adulte, faire des choix, s’engager, dans un sens ou dans l’autre. Toujours en quête d’une liberté totale et de ce qu’il a perdu, il reste fidèle à lui-même et à ses convictions, jusqu’au bout.
L’épilogue est un modèle de perfection, et même si une question se pose, on ne peut s’empêcher de se dire que cela ne pouvait se passer autrement. Rarement un livre m’aura interpellée de la sorte, avec une telle intensité. De mémoire, seuls deux autres livres ont eu un effet mouchoir sur ma personne, Pêcheurs d’Islande, de Pierre Loti, et Nous étions les Mulvaney, de Joyce Carol Oates. Et ce n’est pas peu dire.
Autant dire que pour moi, on atteint le sublime tant dans le fond que dans la forme, car un final pareil, surtout quand comme moi, (pauvre fille !) on n’a rien vu venir (en tout cas pas de cette façon), ça vous fait « des paupières qui pissent ». Même à relire, ça doit pas être économique au niveau des mouchoirs en papier. Malgré cet épilogue intense en émotion(s), malgré le thème de l’amitié, de la fraternité, et de tout ce que cela implique, on est loin du roman initiatique de base, cucul la praline ou sirupeux, et on ne fait pas non plus dans le misérabilisme. Si le monde des motards est omniprésent, si les personnages principaux sont des jeunes hommes, on est également loin du roman de moto ou d’action pure. Ici, on est dans une violence des sentiments poussée à l’extrême. C’est certes un peu idéaliste, jusqu’à un certain point, car tout de même, Bohem se relève toujours après une chute, le symbole de la moto jouant un grand rôle également dans le roman. Un pépin, un drame, un cataclysme, il se relève tout pareil qu’après une chute de moto. On se relève et on repart. La persévérance désespérée de Bohem force le respect, l’adolescent solitaire des premières pages a bien changé, il a évolué en un motard en marge de la société et de la légalité, toujours avide d’espace, réfractaire à toute contrainte.
L’auteur a mis de lui dans ce roman, sa passion pour la moto a donné le terreau à une grande histoire de fraternité universelle et poignante, sans limite d’espace et de temps.
Bref, il est fâcheux de lire un roman de cette envergure en début d’année, la barre est haute et j’ai la sensation d’avoir déjà lu le meilleur.
Lu dans le cadre de mon auto-challenge PAL à 20/40=50%
4 remarques pertinentes pour “Nous rêvions juste de liberté”
AH ça! Une chronique que vaut la peine d’être lue jusqu’au bout!
Non seulement tu donnes vraiment envie de lire ce livre, mais en plus tu y fait passer tes émotions (ce qui donne plus encore envie de le découvrir).
Comme je te disais, je n’ai pas encore lu un seul Loevenbruck, et ça me donne envie d’aller pousser mon nez dans ses écrits. Je pense que tu m’avais déjà attisée avec l’un ou l’autre titre ici. Du coup, la grande question…. par quoi commencer 🙂
Tu vas me dire qu’il joue sur divers styles 🙂
Bon du coup, je pense que je vais me laisser tenter par une nouveauté de la rentrée… pour une fois 🙂
Tout le monde devrait lire cette merveille ! 😀 mais c’est pas une nouveauté c’est sorti en avril dernier 🙂
Il est dans ma PAL et je dois dire que je l’avais oublié. Ton avis le dépoussière donc et me donne envie de le lire et le plus vite sera le mieux.
OUI !!! Moi aussi je l’avais dans ma PAL depuis un moment, en sachant que ça allait être quelque chose, et je n’ai pas été déçue ! 😀
Les commentaires sont désormais fermés.
Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Okenwillow.