- Auteur : Leïla Slimani
- Ma note :
- Lu : février 2017
Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, le couple se met à la recherche d’une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame.
À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c’est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l’amour et de l’éducation, des rapports de domination et d’argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.
Mon avis
…dès les premières pages un suspense envoûtant.
N’importe quoi ! Amateurs de suspens, de gore et de giclées sanglantes, passez votre chemin. Le premier paragraphe du roman est des plus percutant, certes, la scène décrite est effroyable, des enfants morts, une mère revenue à l’état de bête en les découvrant, l’entrée en matière est particulièrement violente. Le reste du roman est quant à lui d’un autre ordre, on remonte le temps à l’époque où Myriam et Paul deviennent parents, et de là, le cheminement qui a conduit au meurtre de leurs enfants. Mais point de grands effets, d’intrigue alambiquée, ou de révélations spectaculaires. L’auteur fait dans dans la sobriété, et nous décrit le parcours classique de jeunes parents un peu dépassés par leur nouveau statut, perdu dans leur nouveau rôle et dans leur vie de couple. Au-delà du bonheur des premiers mois, le retour à la réalité s’avère un peu rude pour Myriam et Paul. Cet aspect met en évidence la problématique du rôle de la mère dans la société, en tant que femme, en tant que professionnelle. Les choix qui en découlent, rester à la maison, retourner travailler, ne pas voir ses enfants grandir, s’épanouir malgré tout en tant que femme dans un métier ou une fonction hors du foyer, sont des choix qui sont parfois faits par défaut, faute de mieux ou de moyens. Au point que parfois ce ne sont plus des choix. Le thème de la parentalité, de sa relative évidence et de ses conséquences est ici très développé, et le personnage de Louise, l’étrange nounou, a elle aussi un rapport ambigu avec sa propre maternité.
L’arrivée de Louise dans le foyer de Myriam et Paul est un événement salvateur, qui va laisser au couple une nouvelle liberté, une tranquillité d’esprit jusque là oubliées. Les questions posées plus haut demeurent. Louise, petite blonde tirée à quatre épingles et plus que dévouée, devient un rouage essentiel au fonctionnement de cette jeune famille. Avec Louise, les parents endossent un nouveau rôle, celui de patrons. Entre condescendance, pitié, maladresses, le couple se sent parfois mal à l’aise avec son nouveau statut. Louise, dont le passé et le contexte familial se précisent peu à peu, joue son rôle d’employée à la perfection, tout en s’efforçant de se rendre indispensable, jusqu’à faire partie intégrante de la famille. Jusqu’à avoir une photo d’elle et des enfants sur la cheminée, mais pourtant « simple employée ». L’ambiguïté des relations patrons-salariée est également bien restituée, une ambiguïté accentuée par la personnalité troublante de Louise.
L’auteur approfondit tous ses personnages, elle les met tous habilement en situation. La nounou ne paraît pas plus déséquilibrée que cela, son caractère et ses manies ne sont pas, de prime abord, plus étranges que la normale, sa bizarrerie est évoquée par petites touches, par de vagues allusions, par des détails semés ici ou là, comme des signes avant-coureurs de la tragédie à venir. L’accumulation de gestes ou de comportements hors normes annoncent le drame, néanmoins, comment imaginer et prévenir une telle issue ?
Le récit reste sobre et fluide, l’auteur ne cherche pas à en mettre plein la vue, elle nous décrit presque cliniquement le déroulement des faits, développe le caractère et la personnalité de Louise avec méticulosité, sans pour autant essayer de trouver une véritable explication à son geste. Le final, une fois la longue analepse épuisée, nous renvoie à l’heure du crime, mais l’on n’en pas pas forcément plus sur ce qui la précisément provoqué. Une accumulation d’événements, associée à l’évolution normale d’une maladie mentale imperceptible, un contexte relationnel compliqué, autant de facteurs qui, combinés, ont engendré le pire. Une impression de fatalité nous saisit, l’impossibilité de voir, de soupçonner la potentialité d’un tel geste, rend l’événement inéluctable.
Chanson douce se dévore, avec intérêt, curiosité. La grande justesse psychologique des personnages et les questions relationnelles feront écho à n’importe quel lecteur. Le suspens est très relatif, car même si l’on découvre peu à peu quelques éléments de contexte (et non de réelle explication et encore moins de justification, l’auteur n’a pas cette prétention), il ne s’agit pas ici d’un mystère haletant et échevelé, mais le portrait d’un personnage en apparence bien sous tout rapport, qui un jour bascule dans l’horreur.
Les commentaires sont désormais fermés.
Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Okenwillow.