- Auteur : Theodore Dreiser
- Ma note :
- Lu : février 2017
Quakers de stricte observance, Hannah et Rufus Barnes déménagent dans le New Jersey sans imaginer un seul instant que ce départ sera à l’origine de tant de bouleversements.
Leur fils Solon, amoureux fou d’une jeune fille riche, Benecia Wallin, l’épouse malgré leur différence de milieu. Le jeune couple s’installe à Philadelphie où, grâce aux relations de sa belle-famille, il se voit offrir un emploi dans une banque dont les pratiques entrent rapidement en conflit avec son éthique. Il essaie d’intervenir contre l’immoralité et la rapacité de la banque, mais se heurte à un mur.
Les valeurs morales issues de la tradition quaker sont également bafouées par ses propres enfants, son monde se désagrège…
Publié à titre posthume, roman ultime, rageur et passionnant, Le Rempart clôt de manière magistrale l’oeuvre immense de Theodore Dreiser.
Mon avis
J’ai découvert Dreiser en 2011 avec Sister Carrie, qui avait été un coup de cœur. L’occasion de lire un autre de ses romans avec Masse Critique était trop belle !
Tout d’abord la quatrième de couverture n’est pas tout à fait fidèle au récit, les pratiques de la banque où travaille Solon n’entrent pas « rapidement » en conflit avec ses valeurs, loin de là, on a l’impression qu’il s’agit là du clou du spectacle, mais pas du tout, il s’agit d’un élément de la toile de fond, qui intervient clairement très tardivement. Le vrai sujet du livre, c’est Solon et son fanatisme, la façon dont ses enfants s’éloignent de la foi quaker tandis que le monde autour d’eux évoluent.
Dreiser nous dresse un portrait précis du quakerisme au travers de son personnage, Solon Barnes. Si par certains aspects ce « courant » semble très humaniste et plein de bon sens, éloigné de certains autres par son absence de hiérarchie, son souci d’égalité, de justice et de solidarité, il n’en reste pas moins que l’esprit critique n’a pas sa place au sein de ses ouailles. L’auteur prend le temps de nous plonger dans l’enfance, puis l’adolescence de Solon, nous savons tout de son éducation, son caractère très pieux, respectueux de la foi héritée de son père. Les meilleurs aspects du quakerisme sont incarnés par Solon, mais les pires également, et l’auteur s’emploie à illustrer cette contradiction avec une grande finesse. Nous suivons Solon Barnes tout au long de sa vie d’adulte et de sa carrière, et si cette dernière conditionne sa vie privée en lui apportant aisance et richesse, c’est sa vie de famille qui passe au premier plan du récit. Solon accepte d’embrasser une vie qui va à l’encontre de ses principes d’humilité et de simplicité. L’argent massivement gagné est un problème, mais il s’en accommode bien vite en estimant, selon les principes quakers, que cette richesse est utilisée pour le bien commun, et ne doit pas être un but en soi. Solon ne serait pas le premier croyant à vivre et à agir en non conformité avec ses « convictions » religieuses, mais on sent ici qu’il s’agit d’un personnage sincère, profondément croyant, et désireux de respecter sa « Lumière intérieure » en toute circonstance. Sa foi est aussi inébranlable que celle de son épouse Benecia, et leur amour ainsi que leur famille grandissent sur cette base commune et solide.
Dreiser n’omet pas de nous dépeindre un contexte historique en mouvement, où l’industrialisation et le développement des affaires et des finances marquent un tournant dans l’Histoire. Si une seule date est évoquée sans plus de précision, nous comprenons que sommes plus ou moins sur la fin du Gilded Age, jusqu’à la Grande Dépression. Le monde est en plein changement, l’entourage de Solon ne semble pas ou plus aussi strict que lui dans sa foi au quotidien. Mais Solon, personnage aussi fascinant que détestable dans son aveuglement, ne semble pas vouloir admettre que tous ces changements de mentalité finissent pas atteindre également ses propres enfants. Ces derniers, tous très différents les uns des autres offrent une belle galerie de portraits, chacun avec ses défauts, ses qualités, ses attentes et ses questionnements. Toujours soucieux que sa progéniture soit habitée par la Lumière intérieure qui guide sa propre vie, son comportement vis à vis de leurs espoirs et curiosité font de lui un rempart inébranlable.
Solon est un drôle personnage, plus complexe qu’il n’y paraît. Son honnêteté, son souci de faire le bien, de rester simple et humble, de secourir son prochain font de lui un personnage attachant, mais peu à peu, son inculture, son ignorance sans fond et son manque absolu de curiosité pour tout ce qui ne concerne pas son petit univers, pire, ses préjugés, le rendent profondément antipathique. Sa foi confine au fanatisme, et l’austérité et la simplicité, qui sont chez les Quakers un art de vivre, frisent la stupidité. Si son foyer est de toute évidence rempli d’amour et de bienveillance, c’est l’ennui et la froideur qui dominent. De la mesure en toute chose, même dans les rapports humains et dans leur expression la plus banale. Le dénouement est un moment assez bouleversant, sachez-le, soyez prêt !
Un bien curieux mais passionnant héros que ce Solon, autour duquel gravitent des personnages tout aussi profonds et travaillés. La plume de Dreiser est un pur délice de finesse et de subtilité, et traite avec délicatesse un sujet compliqué. Un grand moment de lecture.
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