- Auteur : Christopher Priest
- Ma note :
- Lu : novembre 2016
Compositeur de musique renommé, Alesandro Sussken est né dans un pays en guerre, clos, dirigé par une impitoyable junte militaire. Parti au front, son frère Jacj n’est jamais revenu. Un jour, on propose à Alesandro une tournée de neuf semaines dans certaines îles de l’Archipel du Rêve, dont la volcanique Temmil, sur laquelle vit And Ante, un guitariste de rock qu’Alesandro considère comme un plagiaire éhonté. Cette tournée, aux distorsions temporelles incompréhensibles, va changer la vie d’Alesandro d’une façon inattendue. Il va tout perdre : sa femme, ses parents, sa liberté. Pour comprendre sa descente aux enfers, il n’aura pas d’autre solution que de retourner dans cet Archipel du Rêve, aussi séduisant que dangereux… Avec ce langoureux roman sur le thème du double et la nature graduelle du temps, Christopher Priest prouve une fois de plus sa maestria littéraire.
Mon avis
Alesandro Sussken n’a connu que la guerre, son pays, une sorte de dictature repliée sur elle-même, est en conflit perpétuel avec son voisin, et la musique est sa raison de vivre. Devenu un compositeur reconnu, il a l’opportunité de visiter les îles de l’Archipel du rêve, lieu mythique et auréolé de mystère déjà évoqué dans plusieurs œuvres de Priest. Son frère ayant été envoyé au front au-delà de ces îles, ce voyage inopiné est pour une lui l’occasion de s’en rapprocher, l’espoir de le revoir s’étant plus ou moins tari depuis des années. Alesandro quitte donc provisoirement sa femme, ses parents, son pays pour vivre son rêve de toujours, découvrir ces îles qui ont nourri son imaginaire et sa créativité depuis son enfance.
Cet archipel, dont on sait peu de chose et dont la cartographie est impossible à établir, est constitué d’innombrables îles soumises à des variations temporelles (le graduel), une sorte de décalage horaire généralisé et fluctuant, qui diffère du temps subjectif des voyageurs. Alesandro prendra toute la mesure de ce problème lors de son retour, à son plus grand désarroi.
Priest revisite le voyage temporel, loin des étoiles et de l’espace, loin des voyages à travers l’Histoire, car ici les personnages voyagent dans leur propre histoire. Ce phénomène n’est d’ailleurs jamais réellement expliqué, Sandro subit le graduel, il ne le comprend pas, il le vit et l’observe au cours de ses pérégrinations dans l’Archipel du Rêve mais ne le comprend pas plus que le lecteur, laissé à ses questionnements.
Le périple de Sandro, qui voit peu à peu les effets du graduel sur lui et sa créativité, lui fait également perdre ou gagner du temps selon son itinéraire, des détriments et des incréments plus ou moins importants, qui divergent de son temps subjectif. On le suit tout au long de son parcours, fait de voyages en bateau, où la lenteur des déplacements semblent propice à la perte de notion du temps. La technologie est ici réduite à son minimum. Au début du roman, nous savons que les moyens de communication principaux sont le téléphone, le courrier postal, le narrateur évoque un gramophone, mais peu à peu, au fil des décennies apparaissent la télévision, les CD, le numérique, internet. Autant d’indices disséminés qui rappellent au lecteur que le temps passe, que les technologies évoluent. Pourtant, le temps semble s’être arrêté pour certains, tandis que pour d’autres il file sans répit.
Parvenu à la cinquantaine, compositeur respecté et prolifique, Sandro devient un fugitif, et entame une « course » contre le temps, cherchant l’inspiration ultime, et tente de rattraper ce temps perdu malgré lui, de retrouver ce frère parti quarante ans plus tôt, jamais rentré, peut-être mort ou figé quelque part dans le temps. Le rythme du récit, sans être lent, est contemplatif, on suit l’évolution de l’intrigue au gré des voyages de Sandro, bercé par les flots entre deux escales, subissant inconsciemment les effets du graduel. Entre pertes et gains de temps, et autres ajustements temporels, Sandro arrive au terme de sa quête et même si une bonne part de mystère demeure au sujet de l’Archipel et du graduel, le lecteur aura néanmoins quelques éléments d’explication.
Le roman baigne dans une ambiance onirique et poétique, Sandro lui-même parvient à douter de certains de ses déplacements, ayant l’impression de les avoir rêvés. L’auteur joue avec les limites du réel et de l’imaginaire, de la notion du temps et de son écoulement, et explore de manière originale le processus de création. La plume et la langue de Priest sont un délice d’élégance et de finesse qui rendent la narration envoûtante, hypnotique, mais sans effet de longueur ou de lassitude pour le lecteur. Un roman qui compte désormais parmi mes préférés de Priest.
Disponible chez Denoël, traduit par Jacques Colin.
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Pour en savoir un peu plus sur cet auteur majeur de la SF allez donc jeter un œil à ses habitudes de lecture.
4 remarques pertinentes pour “L’inclinaison”
L’inclinaison est bien une affaire de temps et de voyage dans le temps 😉 J’aurai voulu ressentir des liens plus forts entre temps et tempo mais il reste un livre bien intéressant.
Il a une façon pas commune de traiter le sujet, et je suis facilement conquise par le thème :p
Et bien voila (c’est la journée « mais au fait j’ai gardé des tas de liens vers des avis qui m’ont donné envie de lire certain roman » qui s’appelle aussi « aller sur le blog d’Olivia »)
J’ai adoré la douce poésie du roman.
Il me reste depuis sa lecture des images d’îles mystérieuses et envoutantes.
J’ignore pourquoi mais lors de sa lecture il suscitait beaucoup plus d’images que d’autres romans
Ça, c’est le talent de Priest <3
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