Mesdames et messieurs, j’ai mis à profit mon expédition à la Comédie du livre pour proposer à quelques auteurs de répondre à mon questionnaire, et si tous on accepté, certains ne s’en souviendront pas, d’autres perdront mon bout de papier avec mon mail dessus, mais d’autres encore, n’ont pas oublié et se sont prêtés à l’exercice avec brio, tel J.-M. Erre tout récemment !

Christopher Priest himself, l’auteur de Le Prestige, La séparation, La Fontaine pétrifiante, ou Une femme sans histoire, nous en dit long sur sa vie de lecteur. Le prochain billet concernant l’œuvre de Christopher Priest que vous lirez sur ce blog, cher lecteur incrédule, sera sur Le glamour, qui vient de rejoindre ma bibliothèque, suite à l’entretien trop bref consacré à ce roman le dernier jour de la Comédie. Entretien trop court certes, (entre la traduction non simultanée et les deux lectures à rallonge, le grand homme n’a pas eu trop l’occasion de développer ses réponses, plus courtes que les questions), trop court donc, mais assez long pour me donner envie (encore plus !) d’attaquer Le glamour très bientôt. La parole est à Christopher Priest. Un moment historique dans l’histoire de ce modeste blog. Je suis émotionnée, lisez donc, et laissez-moi pleurer.

Christopher Priest à la Comédie du Livre, Montpellier. © Carole R. 2012

Quand, comment et pourquoi en êtes-vous venu à la lecture ? Y a-t-il eu un déclic, ou est-ce « depuis toujours » ?

Je ne me souviens absolument pas d’une époque où je n’étais pas lecteur. Je lisais déjà des romans avant d’entrer à l’école primaire à 6 ans. Je ne me souviens même pas d’avoir appris à lire, mais je suppose que cela a bien dû se produire. Sans aller trop loin dans les explications, je dirais que j’ai eu une enfance insatisfaisante, je n’étais pas bon en sport, pas bon en cours, pas très populaire auprès des autres gosses, et ainsi de suite.

J’avais également une sœur aînée qui semblait avoir pour mission de dénigrer tout ce que je faisais, quoi que je fasse ( elle le fait toujours, bien que désormais ce soit une vieille dame) et j’ai découvert que les livres étaient un refuge parfait pour fuir tout cela. Je passais tout mon temps libre à lire. J’ai passé tellement de temps à lire au lit, couché sur le côté, avec ma poitrine reposant sur un bras, qu’en grandissant mes côtes se sont déformées…en saillant plus d’un côté que de l’autre. Encore aujourd’hui je peux détecter des traces de ce renflement.

Quel est votre meilleur souvenir de lecture ?

Je me souviens d’avoir commencé à lire The Magus, un roman de John Fowles, un samedi matin. Je fus complètement transporté. Je l’ai lu toute la journée jusque tard dans la soirée, j’ai dormi brièvement, me suis levé et ai terminé le livre le jour suivant. Je ne suis pas un lecteur particulièrement rapide (je sais que certaines personnes ont lu The Magus en un jour). J’ai lu beaucoup d’autres livres que j’ai aimés tout autant, mais The Magus sera toujours spécial à cause de la façon dont je l’ai découvert.

Quel est votre endroit préféré ? (lit, fauteuil, bain, parc…)

J’ai deux périodes de lecture dans la journée. Chaque après-midi je lis environ une heure dans mon bureau : j’ai un fauteuil confortable et une lampe de lecture, et je m’installe avec une tasse de café. Ensuite je lis un moment au lit, avant de dormir. Si je voyage j’essaie de lire, mais je trouve toujours les trains, avions etc. un petit peu gênants.

Créez-vous ou avez-vous besoin d’une ambiance particulière pour lire ? (musique, calme…)

Du silence, un bon éclairage, et une boisson. L’une de mes vilaines obsessions c’est l’éclairage merdique des lits dans les hôtels…trouver un lit d’hôtel avec un bon éclairage pour lire est aussi rare que des poules avec des dents.

Qu’est-ce qui influence le plus vos choix de lecture ? (Internet, presse, entourage, l’actualité des confrères…)

Tout et n’importe quoi. Les recommandations me déçoivent souvent. Les livres mentionnés en passant, dans un contexte de non-recommandation s’avèrent souvent être de réelles découvertes.

Lisez-vous parfois les blogs de lecteurs pour trouver des idées de lecture ?

Non.

Pouvez-vous lire plus d’un livre à la fois ?

J’ai actuellement 10 livres en cours de lecture (je viens de compter). Ce qui est complètement inhabituel pour moi. En temps normal j’ai un livre « principal » que je lis sans interruption, avec d’autres qui traînent dans le coin de manière à pouvoir en piocher un pour de courtes séances. Ces 10 livres-là sont des livres que je lis pour le plaisir, et ils n’incluent pas la douzaine de livres que je consulte pour mes recherches lorsque j’écris.

Avez-vous franchi le pas du numérique ?

• Non, ce n’est pas pour moi
• Pas encore, mais ça me titille
• Oui, mais ça casse pas trois pattes à un canard
• Comment je kiffe trop sa race à l’ibouque !

Si vous êtes passé du côté obscur de la force numérique, sur quel type de support lisez-vous ? (Tablette, liseuse, smartphone,…)

J’ai un Kindle, mais je crois que c’est une perte d’argent. Je n’y vois aucun avantage par rapport aux vrais livres. C’est une tentative assez convaincante d’imitation de l’expérience de lecture, mais comme toutes les imitations elle vous rappelle que l’objet réel est bien mieux. Le Kindle n’a pas d’odeur agréable, de toucher agréable, se référer à une partie antérieure ou postérieure du livre est horrible. Et vous ne pouvez pas le jeter contre le mur le plus proche lorsque vous êtes outré par ce que vous venez de lire.
D’un autre côté, je comprends que certaines personnes chargent leur liseuse de porno, ainsi elles peuvent lire en toute impunité sans que l’entourage s’aperçoive de ce qu’elles lisent, mais la raison pour laquelle des gens sont prêts à s’embêter à ce point pour lire du porno m’intrigue.
Les gens qui lisent rapidement tirent un bénéfice des liseuses, car ils n’ont pas à se trimballer de lourds volumes partout. Je connais un alpiniste pour qui le Kindle à résolu un GROS problème.

En tant que lecteur, votre approche de la lecture a-t-elle changé avec le numérique ? Lisez-vous différemment, consommez-vous autrement ?

Je lis autant de livres imprimés qu’auparavant. Le Kindle s’est avéré utile par le passé si l’on me demandait de lire le manuscrit de quelqu’un… je peux charger un PDF dans le Kindle et le lire.

Votre devise c’est :

• Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse
• Le numérique c’est le Mal
• Franchement, le papyrus c’était mieux
• Le papier est mort, vive l’ebook
• Je suis bi-textuel

Marque-page ou page cornée ?

Marque-page.

Annotez-vous vos livres pendant la lecture ? Ou laissez-vous l’objet intact et immaculé ?

Les deux. Mais je les laisse surtout immaculés, car j’aime les livres propres, mais il y a quelques écrivains (J. G. Ballard, ainsi que Eric Linklater) dont je souligne légèrement le texte au crayon.

Quel est votre/vos lecture en cours ?

Grey wolf, de Simon Dunstan & Gerrard Williams. C’est une œuvre de non-fiction qui pose la théorie selon laquelle Hitler ne serait pas mort en 1945, mais aurait fui en Amérique du Sud, jusqu’à sa mort en 1962. Le cas est bien présenté, avec beaucoup de preuves indirectes qui donnent à réfléchir. Je ne m’intéresse pas particulièrement à Hitler, mais j’apprécie toujours les livres qui débattent à contre-courant de la pensée conventionnelle. Dans le cas d’Hitler, la seule chose qui importe est qu’il soit mort, et il est un peu hors-sujet de savoir quand cela est vraiment arrivé.
Et aussi HhhH de Laurent Binet, un roman contemporain sur Reinhard Heydrich, qui est très bon.

C’est un petit peu embarrassant de devoir révéler que je lis actuellement deux livres sur les Nazis, mais petit a : ils sont tous les deux en rapport direct avec mon nouveau roman sur lequel je travaille actuellement, et petit b : parmi les 8 autres livres (voir plus haut) il y a des essais de William Gibson, deux romans de Roberto Bolaño, une novella d’Anton Chekhov, l’autobiographie du cinéaste John Boorman et une pièce de Michael Frayn. (Oh ! oui, et un livre sur le bombardier en piqué Stuka, également pour mon roman en cours d’écriture ! Crotte !)

Abandonnez-vous un livre qui ne vous plait pas ou allez-vous jusqu’au bout de la lecture ?

J’essaie toujours de terminer un livre, quoi qu’il arrive, mais parfois je m’ennuie tellement que j’abandonne.

Savez-vous déjà quel sera votre prochaine lecture ?

Non. Mais ce ne sera pas à propos de Nazis en tout cas. J’en ai marre d’eux.

Vous considérez-vous comme un boulimique ? (toujours un livre en cours, sur soi, peur du manque)

Oui. J’ai le regard perdu et je suis nerveux si je vais quelque part sans livre.

Avez-vous une énorme pile de livre, juste en cas de guerre ?

Non. Mais j’ai une énorme pile de livres.

Quels sont les livres/auteurs/genres que vous affectionnez le plus ?

Pas de préférences. Je passe toujours à autre chose, je reviens toujours aux livres que j’ai déjà lus, essayant toujours de nouvelles choses, ou de trouver un vieux chouchou lorsque j’ai envie d’une pause.

Au contraire, y a-t-il des auteurs, genres que vous évitez, car ce n’est absolument pas votre truc.

Je ne lis jamais de westerns, d’histoires d’amour, de fantasy. J’évite les livres de certains auteurs si je les ai rencontrés et que je ne les aime pas. Il semble que je n’aime pas les romans « classiques », d’avant le XX^e siècle, mais je continue de penser que je devrais. (J’ai pourtant lu True grit l’an dernier, après avoir vu le superbe film des frères Coen. C’est un western.)

Thé, café, Jane Austen, ami des chats…autant de vices assez répandus sur la blogosphère littéraire, êtes-vous atteint(e) ?

Café, eau, pommes, mais pas tout en même temps.

Avez-vous des révélations, des manies de lecteur (compulsif ou non) que vous voudriez ajouter ? (Parlez librement, personne ne vous juge)

Quelle question épouvantable !

Votre actualité

J’achève l’écriture de mon nouveau roman, qui s’intitulera The Adjacent. J’ai aussi écrit une pièce basée sur mon roman Le Prestige, et elle sera certainement mise en scène l’an prochain. Il y a aussi une forte probabilité pour qu’elle soit également jouée en France, à Nantes. J’aurai des vacances après avoir terminé The Adjacent, mais ensuite je veux commencer à travailler sur le prochain, qui s’intitulera probablement The Mariners.

Où trouver Christopher Priest ?

Mon site web : www.christopher-priest.co.uk

En bonus, la retranscription de l’entretien avec Christopher Priest du dimanche 3 juin, publiée par Mr. Mustard sur son blog Mauvais Genres.

• Barbara Constantine
• Robert Charles Wilson