- Auteur : Al Robertson
- Ma note :
- Lu : février 2018
Après sept ans de Guerre Logicielle entre les intelligences artificielles rebelles de la Totalité et l’humanité – dirigée par les dieux du Panthéon, des consortiums qui se manifestent très rarement à leurs adorateurs –, la Terre n’est plus qu’un gigantesque champ de ruines. La plupart des humains ayant échappé au conflit vivent à bord de Station, un immense complexe spatial.
Jack Forster a combattu les IA de la Totalité pour le compte du Panthéon, secondé par Hugo Fist, une marionnette virtuelle, un logiciel de combat ultra-sophistiqué installé en lui. Considéré comme un traître parce qu’il s’est rendu à la Totalité, Jack revient des confins du système solaire pour laver son honneur et trouver sur Station les réponses aux questions qui le taraudent depuis sept ans.
Mais le temps presse : le contrat de licence de Fist arrive bientôt à échéance ; au-delà, c’est la marionnette qui prendra le contrôle, effaçant irrémédiablement l’esprit de Jack, le condamnant au néant.
mon avis
Je continue d’approfondir la SF avec ce roman d’Al Robertson, traduit par Florence Dolisi et publié chez Denoël depuis janvier. Station : la chute, malgré un titre bizarre et peu engageant, cache un univers foisonnant qui a failli me griller quelques neurones.
La Terre n’est plus habitable, et les derniers humains ont trouvé refuge sur Station, un astéroïde reconstituant virtuellement une planète désormais dévastée. Chacun est rélié à la Trame, sorte de filtre informatique qui embellit le quotidien, rendant invisible tout ce qui peut contrarier les sens. Odeurs, goûts, sons, visions désagréables sont améliorés par cette réalité augmentée permanente pourvu que l’on soit relié à la Trame. Dans ce monde virtuel tout est éphémère, la moindre activité de loisir nécessite une licence payante, limitée dans le temps. Robertson propose un univers semblable au nôtre, mais poussé à son extrême, où le virtuel tient une place prépondérante, et où le transhumanisme a atteint des niveaux qui sont aujourd’hui purement théoriques. Il pose du même coup la question du réel et du virtuel, du numérique et du physique.
Un univers ébouriffant
L’auteur se drogue, sachez-le. Je ne m’explique pas autrement son talent pour décrire ce lien ténu entre le physique et le numérique. Dans son monde si subtilement construit, il est possible pour le numérique d’intéragir avec le monde physique. La simulation est si aboutie qu’elle respecte les lois de la physique, la reconstruction numérique respectant tous ses aspects. La marionnette Fist en est un exemple formidable. Les intelligences artificielles sont représentées sous diverses formes et « utilisations ». Le refus du réel et de la mort est également une question récurrente dans le roman. Les Revenants, entités numériques construites sur la mémoire des morts, posent aussi la question de la conscience, de ce qui définit le vivant. Ces avatars de personnes décédées, simulations pourvues d’une conscience, ne sont ni vivantes ni mortes, mais un peu les deux à la fois. Leur exploitation dans l’univers de Station pose question. La question des religions, surtout de Dieu omnipotents et bienveillants, n’est pas en reste.
Un duo improbable
Si tous les personnages sont parfaitement traités, le duo Jack/Fist est truculent. Jack Forster, comptable de son état, poussé par son protecteur à s’engager dans la guerre contre la Totalité. Devenu soldat, Jack abrite en lui une marionnette virtuelle destinée au combat, Hugo Fist.
Jack et Fist reviennent sur Station après une guerre traumatisante et cruelle. Si Fist est un personnage belliqueux et sans scrupules, Jack demeure un simple humain marqué par la guerre. Le binôme, condamné à cohabiter, entretient une relation ambigue et difficile. Fist attend avec impatience la fin de sa licence pour prendre possession du corps de Jack. Fist n’étant qu’un logiciel dont la durée d’utilisation reste limitée, il gagnera sa liberté à la mort de son hôte. Malgré leurs différends inhérents à leurs natures respectives, ils vont reprendre une enquête laissée en suspens par Jack avant la guerre, essayant de dénouer les fils d’un écheveau bien dense.
Le fil de l’enquête mène Jack et Fist à revoir leur relation, de manière subtile et inconsciente. Chacun évolue au contact de l’autre, Fist de plus en plus humain, et Jack de plus en plus…désincarné. J’ai adoré la combinaison de ces deux personnalités hautes en couleurs, avec une mention spéciale pour Hugo Fist, inoubliable. Le contexte richement élaboré et les concepts abordés font de ce roman une belle découverte, surtout pour la novice en SF que je suis. L’univers dépeint l’est en profondeur, l’auteur ne s’est pas facilité la tâche et le rendu est saisissant. Les dernières pages sont une apothéose hallucinée, l’imagination et la puissance d’évocation de Robertson sont incroyables d’efficacité. Pas de doute, cette lecture aura mis mon cervelet à rude épreuve, mais quelle joie !
2 remarques pertinentes pour “Station : la chute”
Merci pour ton avis !
Il me semble assez Dickien … je l’ajoute à ma PAL
Je pourrais pas dire pour la comparaison mais je recommande l’ajout à ta PAL 🙂
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