- Auteur : Ernest Shackleton
- Lu : janvier 2014
- Ma note :
Mon avis
Dans la catégorie « aventures polaires qui font froid dans le dos et les chaussettes », j’avais lu le merveilleux et sublime Terreur de Dan Simmons. Cette lecture m’avait donné envie d’en lire plus sur le sujet, mais un livre en entraînant un autre… Or, lors de ma découverte de Jeffrey Archer et de l’existence brève et intense de George Mallory, le sujet est revenu sur le tapis, car de grands noms de l’exploration polaire étaient cités dans la biographie romancée. Encore sous le choc de la fin tragique de Mallory, je me suis mise en quête de récits polaires. Et voici donc l’un des plus percutants. Je l’annonce dès maintenant, d’autres suivront, car ma PAL s’est enrichie récemment, pour prolonger et renouveler un plaisir glacial, et néanmoins transcendant.
Ernest Shackleton est un individu comme on en rencontre peu. Ambitieux, aventureux, téméraire, tenace, mais habitué aux échecs en tous genres, il n’en demeure pas moins habité par un optimisme inébranlable. Il nous relate ici sa deuxième expédition vers l’Antarctique, dernière région de la Terre encore inexplorée. Son premier échec en 1902 lors de l’expédition de Scott le pousse à organiser sa propre expédition, mais cette fois mieux préparé.
L’Antarctique, c’est deux fois la superficie des États-Unis, et dans les zones montagneuses et venteuses, des températures plus glaciales encore qu’au pôle Nord. Des vents violents, des blizzards redoutables, des terrains accidentés, des crevasses, des pentes, des banquises en débâcle, des montagnes à franchir. Bref, personne n’a encore atteint le pôle Sud, et Shackleton se lance dans l’aventure après des mois de préparation, et une annonce pour le moins directe qui ne cherche pas à tromper le client (annonce qui fait débat dans le milieu, est-elle ou n’est-elle pas d’origine ?)
Le Nimrod laisse Shackleton et ses hommes sur l’île de Ross où tout le monde s’attelle à monter le petit baraquement en bois préfabriqué pour passer l’hiver. Une petite société s’organise, et chacun prend son rôle au sérieux dans des conditions climatiques hostiles et extrêmes. La bonne humeur règne, Shackleton s’emploie à maintenir l’optimisme en toute situation, à encourager ses hommes, à soigner les poneys et les chiens qui les accompagnent. Après l’hivernage, les expéditions à proprement parler peuvent s’organiser. Des dépôts sont mis en place sur l’itinéraire vers le pôle Sud. L’escouade de Shackleton continuera à faire de même une fois sur la route, afin d’avoir des vivres à disposition sur le chemin du retour. Une autre expédition tentera par ailleurs d’atteindre le pôle magnétique. Au retour de tout le monde, le Nimrod devra soit récupérer tous les hommes, soit partir à la recherche des retardataires. Tout ceci nécessite une préparation monstrueuse, une organisation inimaginable, un calcul des rations au gramme près. Et comme le dit souvent Shackleton, un plan minutieusement préparé peut être compromis au moindre imprévu. Et des imprévus, l’explorateur et ses hommes vont en rencontrer de nombreux. Malgré tout, de plans avortés en plans de secours, Shackleton réussit à transmettre son optimisme à tous ses hommes, et voit dans sa quête un devoir à accomplir. Il prend sans cesse des risques, mais toujours en rapport avec le but à atteindre, et toujours en ayant en tête la sécurité de ses hommes.
Le récit ne brille pas par le style, Shackleton se concentre sur les faits, qu’il nous relate à partir de ses propres journaux de bord, rédigés quotidiennement, dans n’importe quelles circonstances. Il avertit même le lecteur de la décadence du style avant d’entamer la relation de l’expédition vers le pôle Sud, après l’hivernage à la Hutte sur l’île de Ross. L’épopée de près de 1400 km est retranscrite presque au jour le jour. Plus le temps passe, plus les difficultés s’accumulent, et plus le style devient rudimentaire, le propos répétitif. La survie devient le seul but de l’équipe. On partage la détresse du groupe, ses espoirs, ses déceptions, l’état précaire dans lequel il évolue. On a froid et faim avec eux. Leurs étapes sont laborieuses, épuisantes, on se demande à chaque instant comme le froid et la faim n’ont pas eu raison d’eux. L’inconnu est aussi un facteur anxiogène puissant, personne ne connaît vraiment la route, l’itinéraire est balisé de surprises plus ou moins mauvaises, de détours imprévus, d’inspections et de relevés scientifiques qu’il faut absolument faire. Physiquement et moralement, l’escouade dépasse largement les limites de l’endurance humaine. Dans des conditions climatiques pareilles, sous-alimenté et isolé de tout, n’importe qui se laisserait mourir sur place, mais pas ces hommes. Encore une fois, pour Shackleton, si un imprévu survient, si une difficulté apparaît, il suffit de changer le plan, et de continuer, inlassablement. Jusqu’à ce que la survie devienne « problématique », l’expédition poursuit sa route, et c’est à environ 140 km du pôle Sud, et à court de vivre, que l’escouade devra finalement rebrousser chemin afin d’atteindre le dépôt de provisions le plus proche, et de rejoindre leur lieu d’hivernage.
Vous l’aurez compris, il s’agit ici d’un récit hors norme, comme seule l’exploration polaire peut en proposer. Dernier continent à avoir été découvert et exploré, il garde encore bien des secrets, mais l’Homme a finalement réussi à l’apprivoiser et à y survivre grâce aux avancées technologiques. Mais en ce début du XXe siècle, les moyens de communication étaient inexistants dans ces contrées, et un sauvetage impossible. Malgré l’échec de l’expédition, Shackleton bat un record en ayant parcouru la plus longue distance en direction du pôle Sud, tandis que l’autre équipe atteint le pôle magnétique, et en ramenant à bon port tous ses hommes sains et saufs, ce qui en soit relève déjà d’un véritable exploit.
Mon prochain billet portera sur l’expédition Endurance (1912-1917), encore plus dingue et incroyable. Je reste en état de stupeur depuis ma lecture de ce récit, et L’odyssée de l’Endurance entretient cette fascination. Joie.
6 remarques pertinentes pour “Au cœur de l’Antarctique”
Sacrée expédition !
Dans le même genre, ne pas manquer « Le pire voyage au monde » d’Apsley Cherry-Garrard, qui a aussi fait une expédition de ce genre en Antarctique – qu’il raconte justement.
Le mot est faible ! 🙂
Je l’ai déjà dans ma PAL, ainsi que la bio de Shackleton, les mémoires d’Amundsen, et Les Naufragés du pôle, de Greely 😀
Hé hé! Je t’en souhaite une très bonne lecture, alors.
Je vais faire une pause, pour faire durer le plaisir 😀
Les commentaires sont désormais fermés.
Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Okenwillow.