- Auteur : José Carlos Somoza
- Ma note :
- Lu : novembre 2012
Fini les détectives, les policiers, les médecins légistes. Place aux ordinateurs, aux profileurs, aux appâts et… à Shakespeare. L’élite du « dispositif » est à la manœuvre pour traquer l’insaisissable « Spectateur » qui terrorise Madrid. Où Somoza atteint l’apogée de sa folie et de son art.
Mon avis
Si mes comptes sont bons il ne doit me rester qu’un livre de Somoza à lire, La clé de l’abîme. L’heure est grave, je crains un effet de manque. Somoza m’éblouit encore une fois avec son art d’inventer l’ininventable. Après son délire pictural de Clara et la pénombre, et ses hallucinations verbales de La Dame n°13, l’auteur s’attaque au théâtre de Shakespeare et nous tisse une intrigue hors normes, dans un contexte lui aussi hors norme. La routine pour Somoza, quoi.
Nous sommes à Madrid, quelques années après un attentat qui a changé la face du monde, notamment de l’Espagne. La technologie étant à la portée de tous et de n’importe qui, il a fallu trouver d’autres moyens pour arrêter les vilains pas beaux. La police s’est radicalement transformée et une nouvelle forme de psychologie comportementale s’est développée plus ou moins dans le secret. Dès le départ l’auteur nous trouble avec des termes plus ou moins nouveaux qu’il finit par nous expliquer progressivement. Il est question de psynome, de philia, de masques. Sans entrer dans les détails pour ne pas déflorer une découverte franchement délectable, sachez juste que Somoza imagine un équivalent psychologique au génome : le psynome. Ce que nous sommes, ce que nous faisons ou pensons serait entièrement induit par notre psynome. Nous réagirions en fonction d’une multitude de stimuli extérieurs, ensemble de gestes, de paroles, de couleurs, et Shakespeare, ayant eu connaissance de l’existence du psynome, aurait compilé tous les profils humains (ou philia) dans son œuvre théâtrale. Nouveau type de profilage, entièrement basé sur l’œuvre de Shakespeare, donc. Oui, Somoza est fou. Et il ose ajouter une touche scientifique à sa théorie pour mieux servir l’intrigue et rendre le tout crédible, en expliquant que la chose est calculable par ordinateur, vérifiable, et laisse seulement une toute petite part de théorie concernant Shakespeare. Grosso modo, l’existence du psynome balaie toute autre forme de psychologie et rend caduque toute autre forme d’interprétation. Rien d’ésotérique ou de psychanalytique là-dedans, car contrairement à Freud, Somoza réussit à nous donner quelque chose d’étrangement cohérent et crédible. On se surprend à se dire « et pourquoi pas » ? Et ça, c’est du génie !
Hommes, femmes ou enfants, les appâts sont ainsi entraînés à l’art du théâtre, plus particulièrement shakespearien, afin d’être capable de manipuler les suspects, uniquement par un comportement bien précis étudié à cet effet. Chaque individu serait sensible à un certain type de masque, et l’appât a pour but d’interpréter LE masque qui rendra le suspect inoffensif dans le meilleur des cas, car une telle manipulation peut conduire à la soumission totale, voire à la mort. Diana Blanco fait partie de cette élite formée dans le but d’attirer et d’arrêter les vilains pas beaux. Devenue un appât de premier choix, elle songe à prendre sa retraite au moment ou sévissent deux criminels particulièrement dangereux. Son désir de tranquillité est compromis lorsque sa petite sœur, elle aussi appât, disparaît. Commence alors une traque comme vous n’en avez jamais vue, une enquête qui ne ressemble à aucune, où la manipulation mentale (mais pas que) est menée à un paroxysme que seul Somoza pouvait imaginer. Les personnages ressemblent fort à ceux de Clara ou la pénombre, où l’humain et l’objet ne font plus qu’un de par leur fonction. Diana Blanco et ses semblables doivent laisser de côté une part de leur humanité tout en exploitant leur désir profond pour pouvoir devenir des armes redoutables. On se laisse facilement porter, voire manipuler par l’histoire et son déroulement étonnant. La conclusion est également déroutante, fascinante, on a même droit à un vrai spectacle pour le coup, qui tombe à pic et qui paraîtrait un brin grandiloquent dans un autre contexte, mais qui prend tout son sens précisément en raison de celui-ci. Mon enthousiasme pour Somoza ne faiblit pas, vous l’aurez compris…
7 remarques pertinentes pour “L’appât”
Voilà un petit bout de temps que cet auteur m’intrigue, un jour peut-être !
Faut pas hésiter comme ça voyons ^_^
J’ai eu la même impression que toi en lisant ce roman : Somoza nous embarque dans ses histoires de psynomes et on y croit! Quel talent 🙂
J’ai découvert Somoza l’année dernière et si je suis loin d’avoir lu tous ses livres, je suis déjà totalement accro à son écriture et ses histoires incroyables. Il m’éblouit à chaque fois et « L’appât » ne déroge pas à la règle !
Décidément, tu me donnes follement envie de me replonger dans Somoza !
Somoza est un génie, je ne le dirai jamais assez <3
J’ai adoré Clara et la pénombre ou encore La théorie des cordes… Hâte de découvrir celui-ci grâce à ton commentaire ! Cet auteur est absolument génial !
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