- Auteur : Donald Ray Pollock
- Ma note :
- Lu : octobre 2016
Après Le Diable, tout le temps, couronné par de nombreux prix, Donald Ray Pollock revient avec une fresque grinçante à l’humour très noir.
1917. Quelque part entre la Géorgie et l’Alabama. Le vieux Jewett, veuf et récemment exproprié de sa ferme, mène une existence de misère avec ses fils Cane, Cob et Chimney, à qui il promet le paradis en échange de leur labeur. À sa mort, inspirés par le héros d’un roman à quatre sous, les trois frères enfourchent leurs chevaux, décidés à troquer leur condition d’ouvriers agricoles contre celle de braqueurs de banque. Mais rien ne se passe comme prévu et ils se retrouvent avec toute la région lancée à leurs trousses. Et si la belle vie à laquelle ils aspiraient tant se révélait pire que l’enfer auquel ils viennent d’échapper ?
Fidèle au sens du grotesque sudiste de Flannery O’Connor, avec une bonne dose de violence à la Sam Peckinpah mâtiné de Tarantino, cette odyssée sauvage confirme le talent hors norme de Donald Ray Pollock.
Mon avis
Me voilà avec un auteur de plus à suivre dans mes LAL et PAL ! L’histoire que nous propose Donald Ray Pollock est aussi déjantée que ses personnages. Si vous n’aimez ni Tarantino, ni Groland (on a les références qu’on peut), passez votre chemin, car il s’agit ici d’un subtil mélange des deux, le verbe y est fleuri et les personnages aussi nombreux que détaillés.
Si l’épopée des frères Jewett constitue le point central de l’intrigue, celle-ci a néanmoins plusieurs ramifications peuplées de personnages secondaires aussi nombreux que divers. Chaque protagoniste, du plus éphémère au plus présent se voit attribuer un passif, un contexte, l’auteur imagine moult anecdotes pour chacun, et rend son récit d’autant plus réaliste, et ses personnages plus attachants encore. Tandis que les frères Jewett s’essaient à une carrière de braqueurs de banque, à plusieurs centaines de kilomètres de là, un couple de paysans entre deux âges constate la disparition de son fils adolescent, une maison close itinérante s’installe dans une étable à chèvre, un « inspecteur des installations sanitaires » affublé d’une hypertrophie pénienne mène une vie solitaire, un jeune lieutenant lettré qui ambitionne de mourir sur le champ de bataille découvre sa sexualité. Pollock nous offre une galerie de personnages particulièrement riche et colorée, où les rôles de chacun ne sont pas évidents de prime abord. Il faut attendre que tout se noue, se mette en place autour des frères Jewett, pauvres orphelins devenus libres à la mort de leur père et qui ne connaissent de la vie que la misère. Avides de tout, ils décident de prendre pour exemple un héros de roman, et se lancent dans une vie de hors-la-loi, avant d’être dépassés par la réalité et les conséquences de leurs actes.
L’humour, souvent noir, glauque, cynique, s’étend sur plusieurs degrés, mais on ne tombe jamais dans le comique ou la parodie. Certains personnages sont naïfs, voire complètement ignorants ou stupides, pourtant on sent que l’auteur a beaucoup de sympathie pour eux, ils ne les ridiculisent pas. Ce traitement est assez fin et subtil, car on trouve par ailleurs plusieurs scènes pas particulièrement raffinées, voire tout simplement trash et rentre-dedans, notamment sur la vie des prostituées de « La Grange aux putes ». Les femmes, les Noirs, les bigots, les homosexuels, les vieux, les pauvres, tout le monde en prend pour son grade. On rit beaucoup en lisant ce roman, on s’attendrit devant le destin de tel protagoniste, on s’émeut face aux difficultés de tel autre. La multitude de personnages ne m’a pas gênée mais pourrait en rebuter certains, trop pressés de connaître le destin des frères Jewett. Le roman est dense, long, car outre la nouvelle vie aventureuse et sanglante des Jewett, l’auteur nous dépeint en parallèle la vie d’une petite bourgade de l’Ohio, en insistant sur ce que l’Homme peut avoir de plus noir et sordide en lui.
Le récit est bien mené, la plume de Pollock nous conduit tranquillement mais sûrement vers une conclusion où tous les éléments se mettent en place, où chaque intervenant joue son rôle ultime, pas toujours en phase avec ses aspirations initiales, d’ailleurs. L’émotion est également au rendez-vous, on ne fait pas que rire avec ce roman, le fond du propos reste assez sombre, désespéré. Ce mélange des humeurs et des genres est un pur délice.
extraits
À peine avaient-ils fini de manger qu’ils virent revenir Virgil Brandon avec son dentier et une chemise propre. Il avait gobé une douzaine d’œufs au cours des dernières heures et s’était mis en tête de défoncer Esther toute la nuit. Il la suivit dans l’une des tentes en se pavanant un peu, le torse bombé. La suite se noyait dans le brouillard. Seigneur Jésus, il n’avait jamais rien connu de tel ! Son râtelier avait jailli hors de sa bouche quand il avait balancé la purée. La grosse fille était semblable à ces trayeuses ultramodernes avec lesquelles Carl Mendenhall remplaçait tous ses commis et il aurait été incapable de se retenir, même si sa vie en avait dépendu. Après qu’elle l’eut aidé à remettre ses dents dans sa bouche et à remonter son pantalon, il sortit sans un mot de la guitoune, la démarche trébuchante, et rentra chez lui en passant devant le feu de camp où les autres buvaient le café.
Quelques heures plus tard, alors qu’ils fendaient un bosquet d’épineux en file indienne, Cob pivota sur sa selle pour regarder Chimney.
« Je peux te poser une question ? demanda-t-il.
– Ouais, quoi ?
– Si une de ces putes dont tu parles vaut deux ou trois dollars, combien coûte un bon jambon, à ton avis ?
– Oh, à peu près pareil, je pense. Y doit pas y avoir une grosse différence entre une pute et un jambon.
– Bon, dans ce cas, on pourrait en acheter combien avec l’argent qu’on a ?
– Oh, je sais pas. Une centaine, peut-être.
– Mazette ! s’exclama Cob. Ça fait beaucoup.
– Ouais, y faudrait un jour ou deux pour toutes les baiser.
– Non, je veux dire : ça fait beaucoup de jambons, hein ?
– Putain oui, t’as raison ! convint Chimney en éclatant de rire. Merde, si tu devais bouffer tous ces jambons, tu te transformerais sans doute toi-même en cochon.
– Oh, ça m’irait bien, dit Cob. Ils ne font rien d’autre que rester vautrés toute la journée dans la boue avec quelqu’un qui leur apporte du fourrage et de la pâtée. Bigre, qu’est-ce qu’on pourrait bien vouloir de plus, dans la vie ? »
2 remarques pertinentes pour “Une mort qui en vaut la peine”
Bien vendu ma bonne Francine!
Je me dis qu’on ne peut pas tout lire, mais là, tu me donnes envie de l’ajouter à ma wishlist….
Je te le recommande vivement !!!!!
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Pour la suite de mes lectures et autres déviances,
cela se passe désormais sur Okenwillow.